-5 - Tadhg

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Le 05 avril 2023, Yoshino

     — Joyeux anniversaire... commencé-je à chanter lorsque Sakura ouvre un œil, de l'autre côté de la pièce.
     Lucile me rejoint en farfouillant dans ses affaires pour récupérer le cadeau de la puce, qui ne tarde pas à sauter au milieu de nous dans le lit. Elle me serre dans ses bras, fait de même avec sa mère, son rire emplissant la pièce.
     Et dans mon cœur, un poignard se plante. Dans deux ans, cette mélodie se sera tue. À jamais.
     — Je peux l'ouvrir ? demande Sakura, qui est déjà en train de tirer sur le nœud qui entoure le papier.
     Lucile et moi acquiesçons, sourire aux lèvres, et regardons la fillette déballer son premier cadeau de la journée. Elle en aura cinq, puisqu'elle fête ses cinq ans.
     — Alors, chérie ? Qu'est-ce que c'est ?
     Sakura s'empresse d'arracher le reste de l'emballage, en ignorant la question de sa mère. Son sourire est encore plus large que la seconde d'avant lorsqu'elle découvre une nouvelle peluche – la centième, au moins – en forme de girafe.
     — Je vais l'appeler Tâche ! Parce qu'elle a plein de tâches ! éclaire-t-elle en se laissant tomber contre le matelas, sa nouvelle amie contre son torse.
     Je profite qu'elle ne regarde pas pour embrasser rapidement Lucile et remettre une mèche de ses cheveux en place derrière son oreille, puis dépose un baiser sur le front de Sakura avant de lui chatouiller les côtes.
     — Bataille de chatouilles ! annoncé-je en faisant tomber Lucile à côté, qui commence elle aussi à torturer la puce.
     Ses éclats de rire résonnent encore une fois dans la pièce. Ce moment qui n'appartient qu'à nous trois sera enregistré sur mon téléphone, maintenu droit sur la table de chevet pour filmer chaque instant de cette journée.
     — Papa, arrête ! Aide-moi, maman !
     J'adore quand elle m'appelle « papa ». C'est récent, ça devrait me faire peur, terrifier Lucile au passage, mais cette petite fée porte nos deux noms de famille, désormais. Rien de plus naturel pour une petite fille d'appeler celui qui l'a adoptée « papa ». Rien de plus naturel pour moi de l'entendre dire ce mot.
     — Allez, petite fée, on va aller s'habiller et se promener au milieu des cerisiers ! finit par trancher Lucile en se remettant debout.
     Elle bloque mes bras pour m'empêcher de continuer la bataille, me tire en arrière et dépose ses lèvres sur mon omoplate au passage, tandis que Sakura s'assied au milieu du lit et se frotte les yeux.
     — Papy et mamie, ils viennent avec nous ?
     J'acquiesce en sortant le nébuliseur – triste retour à la réalité, à la mucoviscidose et à ce qu'elle implique –, puis le pose sur le nez de Sakura et caresse ses cheveux le temps de la séance. Même en vacances, même au Japon, même déconnectés de tout, cette petite puce doit continuer à dégager ses bronches, avec une séance de kiné tous les jours maintenant. Comme lorsqu'elle était bébé, jusqu'à ce qu'elle rentre à l'école.
     La mucoviscidose gagnera toujours.

     Nous retrouvons les parents de Lucile devant l'hôtel, puis prenons la direction de l'arrêt de bus qui nous mènera au pied du Mont Yoshino. Après quelques minutes de trajet, nous voilà arrivés près des cerisiers en fleurs.
     Nous montons à bord du téléphérique qui nous amènera au sommet, Sakura n'y croyant pas ses yeux. Bouche grande ouverte, elle tourne la tête dans tous les sens pour ne rien rater, sous le regard empli d'amour de sa mère. Je les bombarde encore une fois de photos, puis nous descendons et prenons une grande inspiration.
     — Lucile, chérie, tu veux bien prendre une photo de ta mère et moi ? demande Louis, le père de Lucile, en lui tendant l'appareil photo.
     Vanessa est tout autant enthousiaste et impatiente que Sakura. Elle ne reste quasiment pas en place lorsque Lucile prend une photo de ses parents, nous menace pour faire un portrait de famille – Sakura, Lucile et moi, réunis sur une seule et même photo, notre première tous les trois – puis broie la main de Sakura lorsqu'on se décide à commencer notre visite. Je laisse la petite fille et ses grands-parents partir devant, puis saisis la main de Lucile dans la mienne avant de passer mon bras autour de sa taille pour la garder contre moi.
     — C'est à la hauteur de tes attentes ?
     Depuis notre expédition d'il y a trois jours, depuis qu'elle a découvert ses racines, depuis qu'elle a rencontré son grand-père biologique, j'ai l'impression qu'elle est plus apaisée. Plus légère, qu'elle se sent plus libre de vivre, de sourire, de rire.
     Elle sourit largement, de la plus belle des façons, et dans ses prunelles, je vois à quel point elle est heureuse, en ce moment.
     — Je voudrais figer le temps pour ne jamais quitter cet endroit, répond-elle simplement sans cesser de regarder sa fille.
     Notre fille.
     — Moi aussi, joli cœur. Si j'en avais le pouvoir, je laisserais la Terre tourner sans nous, juste pour rester ici, avec vous deux, pour l'éternité.
     Ce mot qui revient tant depuis quelques mois. Celui que j'ai promis à Lucile, mais qu'elle ne peut pas promettre à Sakura. Et je sais que l'éternité à mes côtés n'aura aucune valeur pour elle, si notre fille ne peut en profiter avec nous.
     — Je t'aime, Tadhg. Ce voyage, c'est... Notre rêve. À Sakura et à moi. Et sans toi, on n'aurait jamais pu le faire.
     Je stoppe un instant pour l'embrasser, pour lui dire à quel point je l'aime aussi, avant de reprendre notre route au milieu de toutes ces fleurs roses pâles, de tous ces troncs centenaires, voire plus, de ces cerisiers qui, dans quelques mois, laisseront leurs fleurs s'envoler.
     Comme Lucile va devoir le faire.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant