Chapitre 66 - Lucile

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Le 19 novembre 2022, Montpellier

     Je ne sais même plus comment Tadhg a réussi à me faire quitter l'hôpital hier soir. J'ai l'impression d'avancer dans un épais brouillard, de ne plus voir mes pieds, de seulement chercher un moyen pour le dissiper et retrouver la chaleur du soleil.
     J'ai dormi trois heures cette nuit. Trois heures, bercée par les bras de Tadhg autour de moi, par ses paroles qui se voulaient rassurantes, par son souffle sur ma nuque.
     L'hôpital n'a pas appelé. La nuit a dû bien se passer. Sakura est toujours parmi nous, elle va guérir, tout va rentrer dans l'ordre. Sauf la mucoviscidose.
     Réveillée à quatre heures du matin, je suis épuisée, tant et si bien que je peine à tenir debout. Tadhg me rattrape alors que mes jambes allaient me lâcher à deux pas du lit, puis me porte jusqu'à la salle de bains. J'entends l'eau couler dans la baignoire tandis qu'il sort une serviette du placard.
     Je n'ai pas voulu rentrer chez moi hier soir. C'était pourtant plus près du CHU, mais la simple idée de trouver l'appartement vidé des rires de Sakura me tordait l'estomac. C'est donc la seconde fois que je mets les pieds chez Tadhg, et j'ai tellement de mal à garder les yeux ouverts que je ne peux même pas apprécier l'instant.
     — Je peux te déshabiller, joli cœur ? Je t'ai fait couler un bain.
     Je hoche la tête, le laisse m'ôter le tee-shirt trop large qu'il m'a aidé à enfiler hier soir, puis descendre mon tanga jusqu'à me retrouver nue face à lui. Encore une fois, il me soulève dans ses bras pour me déposer dans la baignoire, mais je refuse de me détacher de lui.
     — Viens, s'il-te-plaît... chuchoté-je près de son oreille.
     Je peux sentir son hésitation une fraction de seconde avant qu'il accepte. J'entends le froissement de ses vêtements qui tombent au sol, me redresse légèrement pour lui laisser une place derrière moi, et me recroqueville contre lui. Ses jambes de part et d'autre des miennes, ma tête contre son épaule et son bras sur mon ventre, il dépose un baiser sur ma joue en traçant des lignes imaginaires contre mon épiderme.
     — T'es gelée, Lucile, constate-t-il alors.
     Il dégage mes cheveux pour les faire passer sur ma poitrine et commence à me masser doucement les épaules. Je souffle longuement, me colle un peu plus contre la chaleur de sa peau, mes fesses rencontrant son sexe. Je n'ai jamais pris de bain avec un homme. Je ne me suis jamais autant sentie à ma place dans un moment pareil, tandis qu'il arrête son massage, passe ses deux bras autour de ma taille et embrasse ma tempe.
     — Ça va aller, mo ghrá. Je te parie que dans deux jours, Sakura aura retrouvé toutes ses forces et boudera d'avoir raté la sortie au cinéma avec l'école.
     Sa dernière phrase a le don de me décrocher un petit rire, pourtant intérieurement, je hurle contre l'injustice de ce monde. Je hurle contre l'univers d'avoir créé les maladies, je hurle contre mon corps d'avoir fabriqué un gêne défaillant pour le transmettre à ma fille, je hurle que je n'en peux plus, que c'est trop, que je vais finir par lâcher avant Sakura si le diable se décide encore à rendre la vie de mon cerisier si compliquée.
     — Ça, c'est même sûr... constaté-je.



     Nous restons cinq minutes de plus collés l'un à l'autre, jusqu'à ce que l'eau commence à refroidir. Il se relève le premier, enjambe la baignoire, et j'avoue que même dans ce moment d'incertitude, même si je ne devrais pas penser à autre chose qu'à ma fille, j'en profite pour regarder ses fesses nues, apercevant son sexe qui pend entre ses cuisses. Il noue une serviette autour de sa taille, se retourne vers moi et arque un sourcil en m'aidant à sortir.
     — Tu me matais ? plaisante-t-il tandis qu'il enroule une deuxième serviette sur mon corps, avant de me presser contre son torse et de frictionner le tissu.
     — Peut-être un peu... avoué-je d'une voix encore endormie.
     Dans la seconde qui suit, je sens la preuve de son désir naître contre ma cuisse, mais je ne dis rien. Lui non plus, d'ailleurs. À la place, comme je suis toujours dans les vapes de ma courte nuit, il m'aide à mettre une culotte, puis un bas de jogging et un pull, les deux vêtements lui appartenant.
     — Tu veux retourner dormir un peu ? Les visites ne commencent que dans trois heures.
     J'acquiesce, ne proteste pas lorsqu'il passe un bras sous mes genoux et l'autre dans mon dos, jusqu'à me déposer sur le matelas. Restant contre moi, il entoure mon corps et je me laisse aller, puis souffle :
     — T'as la peau super chaude...
     — C'est parce que t'as encore froid, mon ange.
     Je pouffe et me colle un peu plus, mon front contre son torse, mon souffle s'échouant sur son ventre.
     — Je t'aime, murmuré-je avant de fermer les yeux.
     Je le sens m'embrasser le cuir chevelu, son étreinte se faisant plus forte autour de moi.
     — Je t'aime aussi, joli cœur.



     Je me réveille je ne sais combien de temps plus tard, lorsqu'une odeur de pâte qu'on fait cuire m'arrive aux narines. Ouvrant un œil, je constate que Tadhg n'est plus dans le lit et décide de me lever également.
     Torse nu dans sa cuisine, il est en pleine préparation du petit-déjeuner, si j'en crois le bazar étalé sur le plan de travail. J'ose timidement poser mes mains sur son ventre et dépose un baiser dans son dos, le faisant légèrement sursauter.
     — Désolée, m'excusé-je. Qu'est-ce que tu fais ?
     Il m'offre un sourire et dégage une mèche de cheveux de mon visage avant de m'embrasser.
     — Irish breakfast. Tu as des cream scones, du porridge, des saucisses, des œufs, du lemon curd...
     Je fronce le nez lorsqu'il me parle de salé, mais salive en entendant les plats sucrés. Si ça se trouve, ils sont immondes, mais juste à la façon dont il prononce les noms, ça me donne envie d'y goûter. Le pouvoir de l'anglais.
     — T'as eu le temps de préparer tout ça ce matin ? questionné-je, parce que je vois déjà du coin de l'œil une montagne de petits gâteaux fourrés de confiture.
     — J'ai pas réussi à me rendormir, alors j'en ai profité.
     Je le remercie d'un rapide baiser, me hisse sur le seul plan de travail resté libre et le regarde s'affairer, prenant conscience d'une chose : je veux que tous mes réveils ressemblent à ça. Avec Sakura qui sortirait de sa chambre, son doudou contre elle, pour venir nous rejoindre.
     Je veux qu'on forme une vraie famille, même s'il est encore bien trop tôt pour tout ça. Peut-être que dans quelques mois, Sakura aura le papa qu'elle a toujours voulu, s'il est d'accord pour faire de notre duo mère-fille un trio parents-enfant...

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant