Chapitre 15 - Tadhg

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Le 26 juin 2022, Montpellier

     Voilà déjà cinq minutes que nous faisons la queue pour prendre nos places. Je n'ai pas eu mon mot à dire sur le film, mais qu'importe : je ne m'intéresse jamais aux dernières sorties cinéma, préférant mater Netflix dans mon canapé plutôt que supporter le bruit des pop-corn qu'on mélange sans cesse, sans se rendre compte que des personnes essaient d'écouter le film.
     — Docteur Gallalou ! Hé oh !
     Je reconnaîtrais cette petite voix entre mille ; Sakura s'approche de moi, avec son éternel sourire accroché à ses lèvres, tirant sa mère par la main. Lucile, elle, m'offre un rictus mi-amusé, mi-désolé, avant de perdre toutes ses couleurs d'un coup. Je ne comprends pas pourquoi, jusqu'à ce que Damien, à côté de moi, ouvre la bouche.
     — Lucile ?
     Ils se connaissent ? Ça, ça ne sent pas bon du tout, parce qu'elle semble tout, sauf ravie de le voir ici.
     Lucile tente de retenir sa fille, mais celle-ci se dégage et trottine jusqu'à notre groupe.
     — Toi aussi, tu vas voir Buzz l'éclair ? Maman a promis de m'acheter des pop-porn au sucre, c'est cool hein ?!
     Damien n'a pas l'air d'en mener large lorsqu'il entend la petite puce l'appeler « maman ». Oh, merde, je crois que j'ai compris.
     — Des « pop-corn », mademoiselle, reprends-je Sakura en faisant un signe de tête à sa mère, qui triture ses doigts, signe évident de sa nervosité.
     — Maman, hein ? demande Damien, les sourcils froncés, lorsqu'elle relève enfin son visage vers nous. Tu m'avais dit que t'avais accouché, mais je pensais que t'allais retourner à Agde pour l'élever. Visiblement, je me suis gouré...
     — Parce que j'aurais dû, peut-être ?
     Elle a répondu d'une voix à peine audible, pourtant bien sûre d'elle. Sakura regarde à tour de rôle l'homme en face d'elle, puis Lucile, sans comprendre.
     — Maman, c'est qui le monsieur ? Tu le connais ?
     Je peux entendre d'ici les rouages de son cerveau. Elle ouvre la bouche une première fois, la referme, recommence une seconde fois sans réussir à sortir un mot. Damien, lui, s'accroupit devant la petite fille et lui tend la main.
     — Je suis ton papa. Sakura, c'est ça ?
     Gagné. Merde, je savais qu'il cachait un truc, ce salaud ! Lucile devient rouge de colère en prenant sa fille par les épaules pour la ramener contre elle, puis pose ses mains sur ses oreilles pour éviter qu'elle entende.
     — Son papa ? Ça, je ne crois pas, non. Tu t'es barré le jour où je t'ai dit être enceinte, ça fait quatre putain d'années que je t'envoie des textos pour te renseigner sur l'état de santé de ma fille, et tu n'as jamais pris le temps de répondre ne serait-ce qu'une seule fois. T'as cru que tu méritais le titre de papa ?
     — Lucile... J'étais jeune, et un gros con.
     Je tousse pour cacher mon « tu l'es toujours », attirant l'attention de Lucile sur moi. Je ne l'ai jamais vu aussi révoltée qu'aujourd'hui, et je ne peux que la comprendre.
     — J'ai changé, continue Damien. Je vais me marier et Sakura va avoir un demi-frère. Je veux apprendre à la connaître.
     — Non. C'est pas comme ça que ça marche, un parent, Damien. Tu ne peux pas décider de revenir quatre ans après alors que t'as jamais cherché à la rencontrer ! Je l'ai élevée seule, j'ai dû voir ma fille dans un lit d'hôpital pour lutter contre une maladie qui risque de me l'enlever plus tôt que prévu, tu n'as aucun droit de dire que tu es son père. Tu n'es rien, ni pour elle, ni pour moi. Tu ne seras jamais rien. Alors profites bien de ta petite famille, et laisse la mienne tranquille.
     J'ai une furieuse envie de l'embrasser, là maintenant. Depuis le temps que j'attends que Damien se fasse remettre à sa place... En presque trois ans que je le connais, il n'a jamais parlé une seule fois de sa fille. Je suis sûr que s'il ne l'avait pas croisé par hasard aujourd'hui, il n'aurait même jamais cherché à faire partie de sa vie.

     Lucile soulève sa fille dans ses bras, se retourne et prend la direction de la sortie sans demander son reste.
     — Docteur Gallalou ? Tu t'occupes de ma fille ? demande Damien, les sourcils froncés.
     Je n'ai aucune envie de lui répondre. Lui foutre mon poing dans la gueule, en revanche...
     Mais je n'en fais rien, me dégage de la file d'attente et rattrape Sakura et Lucile en un rien de temps, juste avant qu'elles passent la porte. Posant une main sur l'épaule de cette dernière, elle se retourne vivement et soupire en me voyant.
     — Désolée pour la scène. C'est votre ami, et je n'aurais pas dû lui parler comme ça.
     — Mon ami ? Je n'ai jamais pu me le voir. Tu as tous les droits du monde de lui parler comme ça, vraiment.
     Je suis même étonné qu'elle s'excuse auprès de moi alors qu'encore une fois, elle n'a fait que montrer toute la force qu'elle a en elle.
     — Il avait pas l'air gentil, le monsieur. C'est pas mon papa.
     Lucile se déride à la remarque de sa fille, puis la repose par terre.
     — Je crois qu'on va y aller. On ira voir le film plus tard chérie, d'accord ?
     — Ne gâche pas tes plans pour lui. Il ne le mérite pas.
     Je tente un sourire rassurant et fais un signe de tête vers Sakura, qui contemple les affiches au mur avec une petite moue boudeuse.
     — Et ta fille voudrait goûter les « pop-porn » sucrés.
     Un léger rire lui échappe, et mon cœur fait un salto arrière dans ma poitrine.
     — Elle a vraiment dit ça ? La honte !
     — C'est plutôt mignon, je trouve. Bon, faudra lui expliquer que le mot « porn » ne veut rien dire, histoire que tu évites de te retrouver avec les services sociaux au cul...
     Cette fois, elle pouffe franchement, la main de Sakura tirant sur le jupon de sa robe. Je ne remarque que maintenant sa tenue qui la rend absolument ravissante ; le bleu clair lui va à merveille.
     — On va voir le film ou pas ? S'il-te-plaît !
     La lèvre inférieure retroussée, les sourcils froncés d'une façon suppliante, Lucile ne peut que succomber à son charme, et finit par céder.
     — Tu veux venir avec nous, docteur Gallalou ?
     — Chérie, je crois que le docteur est venu avec ses amis. On va y aller toutes les deux, d'accord ?
     Je n'ai plus aucune envie de passer deux heures avec un connard assis à côté de moi ; lorsque j'aurai expliqué tout le merdier à Camille, Marc et Olivier, nul doute qu'ils me pardonneront de les avoir lâché si rapidement. J'espère juste qu'ils auront enfin compris que Damien n'est pas un saint.
     — Finalement, Buzz l'éclair me tente bien. Si je peux me joindre à vous, bien sûr, demandé-je à Lucile. Je ne veux pas m'imposer.
     Ses yeux en amande me scrutent une longue seconde, puis elle finit par hocher la tête. Sakura sautille de joie à ses côtés et, sans que je m'y attende, vient m'enlacer les jambes pour me faire un câlin. Merde, je crois que je l'aime, cette gamine.
     — Trop bien ! T'as déjà vu Toy Story ? Le monsieur qu'on va voir dans le film, il est dans l'histoire de Woody et Jessie. C'est vrai, que la télé elle est encore plus grande qu'à la maison ? Maman elle a dit qu'il faisait tout noir pendant le film. Tu pourras me tenir la main, pour pas que j'aie peur ?
     En fait, je ne le crois pas. J'aime vraiment cette petite puce.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant