Chapitre 34 - Lucile

25 2 0
                                    

Le 08 août 2022, Montpellier

     J'ai craqué, je continue le jeu. Pourtant, j'étais sûre de moi hier ; je ne voulais pas me lancer dans une compétition de drague avec le kiné de ma fille.
     Force est de constater que le clin d'œil de Tadhg et la lueur d'amusement dans ses yeux auront eu raison de moi...
     Cependant, j'avoue y avoir été d'une façon un peu trop sûre de moi. Je ne suis pas trop sucette, sérieux ? Je suis quoi, une prostituée qui cherche un nouveau client ? Quelle conne...

     — Mesdemoiselles, après vous, indique Tadhg lorsqu'il nous rejoint enfin, faisant une petite révérence en nous montrant le chemin.
     — Passe devant, j'ai pas confiance.
     Il s'arrête juste à côté de moi, Sakura quelques mètres devant nous, et se penche pour me glisser à l'oreille :
     — Pour que tu en profites pour me mater les fesses ? J'allais user de la même technique, Lucile, tu me déçois...
     Je lui frappe le bras et retiens mon sourire, puis cale mes pas sur les siens.
     — Je n'ai pas besoin que tu marches devant moi pour te regarder de dos, gros malin. Qui a dit que seuls les hommes avaient le droit de se rincer l'œil ? lancé-je d'un ton détaché. Je sais que j'en ai pas l'air, mais quand même !
     Il stoppe net et se tourne d'un bloc vers moi, me retenant par les épaules.
     — Lucile, pour le bien de Sakura qui pourrait écouter, il faudrait éviter que tu me fasses dire des choses que tu n'es pas non plus prête à entendre, prévient-il sérieusement, ses yeux dans les miens.
     Une douce chaleur me monte aux joues, devenant étouffante lorsqu'il laisse ses mains glisser sur mes bras avant de se remettre à côté de moi.
     — J'ai réussi à te couper la chique, un point pour moi.
     Effectivement, je suis bouche bée. Bordel, ce truc est beaucoup trop dangereux pour ma santé mentale, il va finir par me tuer.

     Jusqu'à l'arrêt de tram, Sakura décide de tenir la main de Tadhg, et j'en profite pour les laisser passer devant. Il a cru qu'il allait réussir son coup ? C'est mal me connaître.
     Bon sang, ce fessier... un rêve pour les yeux. Une oasis en plein désert. Est-ce que j'ai noté son corps musclé, aussi ? Ses biceps sont serrés par les manches courtes de son tee-shirt, les veines de ses bras ressortent avec la chaleur, et bon sang, c'est beaucoup trop sexy.
     Nous attendons le tramway lorsque je glisse tout bas :
     — Tu t'es assis sur un chewing-gum, t'as la trace sur les fesses. Un point partout, égalité.
     Il serre la mâchoire sans me jeter un regard, seul le rictus aux coins de ses lèvres trahissant son amusement, et souffle :
     — Et tu te trouves maline ?
     — Assez, oui. Moi aussi, je sais jouer, monsieur Gallagher, avertis-je tout en regardant les personnes descendre du tramway qui vient juste d'arriver.
     Nous prenons place à notre tour, Tadhg restant debout contre un repose-fesses tandis que je m'assois sur un siège, Sakura sur moi. Je lui tiens les poignets pour éviter qu'elle touche à tout, n'étant toujours pas sereine quant à l'idée de la laisser dans un nid à bactéries.
     Au bout d'à peine une minute, elle est prise d'une quinte de toux et je m'empresse de mettre ma main devant sa bouche. Habituellement, elle le fait toute seule, mais avec mes mains qui la bloquaient, la pauvre n'a pas eu le temps et vient de tousser en plein sur une dame d'un certain âge, qui nous dévisage de la tête aux pieds, une moue dégoûtée sur le visage, avant de lancer en regardant ma fille :
     — Quelle petite fille mal élevée ! On n'apprend pas les bonnes manières, dans votre pays ?
     Je m'apprête à lui rétorquer une réplique bien sentie, pourtant je suis coupée avant même d'ouvrir la bouche par une petite voix qui s'égosille :
     — Je suis pas mal élevée, j'ai la mucololoscidose, vieille méchante !
     Je réprimande Sakura, mais en mon for intérieur, je me retiens de rire. Tadhg, lui, se racle la gorge pour cacher le sien et pince les lèvres en croisant mon regard, tandis que les passagers à côté ne s'en cachent pas.
     — Oh bah tiens, encore un produit Made in China défectueux ! cingle la vieille peau d'un ton empli de mépris.
     Je manque de m'étrangler avec ma salive. Durant toute ma vie, j'ai eu le droit à des commentaires racistes de personnes qui ne me connaissent pas. Au-delà de mettre tous les asiatiques dans le même panier, ce qui est déjà un profond manque de respect, les propos qu'elle vient d'avoir me tordent l'estomac, pourtant je ne sais pas quoi dire. Je me contente de la dévisager, mes bras serrant encore plus Sakura, qui me demande au creux de l'oreille en serrant son doudou contre elle :
     — Ça veut dire quoi « Médine Shaya » ?
     J'embrasse sa tempe avant de répondre.
     — Rien, ma puce. Ça ne veut rien dire.
     À voir la tête de Tadhg, lui aussi est secoué par cette vieille conne. Seulement, à la différence de moi, il ose prendre la défense de Sakura, les bras croisés devant son torse, le regard dur :
     — Le produit défectueux, comme vous dites, c'est une petite fille de quatre ans qui se bat depuis sa naissance à chaque respiration. Alors ravalez votre méchanceté gratuite et admirez la force et le courage de cette gamine, parce que vous ne lui arriverez jamais à la cheville.
     Je n'arrive pas à détacher mon regard de lui, maintenant. Le sien se tourne vers moi, et je murmure un « merci » du bout des lèvres tandis qu'il incline légèrement la tête. Il se fait applaudir de toute part, la vieille se rabougrit dans son siège, Sakura tire la langue et retrouve son sourire. Et moi, je suis plus que fière de voir que ma petite fille de quatre ans a tenté de se défendre et que Tadhg a cloué le bec d'une inconnue.
     Finalement, il mérite que je joue avec lui...

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant