Le 18 mars 2023, Montpellier
Le mois dernier, Lucile m'annonçait qu'elle lançait les démarches pour l'adoption, si j'étais d'accord.
Et aujourd'hui, je vais devenir papa.
C'est rapide. Six mois et demi de relation entre sa mère et moi. Mais s'il y a bien une chose dont je suis plus que sûr, en ce moment-même, c'est que je donnerai tout ce que j'ai pour que Sakura devienne ma fille.
Et dans trois heures, ça sera le cas.— Je peux prendre une glace au chocolat, pour le dessert ?
Je hisse Sakura contre ma hanche pour qu'elle soit à la hauteur de la borne de commande, lui montre les différents parfums et la laisse choisir. Juste à côté de nous, une main posée dans mon dos, Lucile ne s'arrête plus de sourire.
— Maman, tu veux un cookie ? demande la puce en se tournant vers elle.
— Non, chérie. Mais si tu en veux un aussi, tu peux en prendre un.
Sakura secoue négativement la tête tandis que je la repose au sol, puis Lucile l'amène aux toilettes pour qu'elle puisse se laver les mains. Je sais à quel point elle est stressée, ces derniers jours : tout ce qu'elle voit, ce sont les bactéries qui circulent partout, et qui peuvent nuire encore plus aux poumons de sa fille. Ce qui ne l'empêche pas de tout faire pour laisser à la petite fille de presque cinq ans un semblant d'enfance normale.
Sakura refuse d'aller jouer avec les autres enfants, décide de s'installer à côté de moi, et Lucile nous mitraille de photos. Derrière la lueur joyeuse que je vois briller dans ses yeux, pourtant, j'aperçois la douleur qu'elle essaie de cacher.
— Est-ce que je pourrai mettre du maquillage, quand je serai grande ? Tatie, elle a dit qu'il fallait que j'attende d'être grande pour en mettre, mais moi je trouve ça trop nul. En plus, tatie, elle est trop belle quand elle met du maquillage !
— Tu es déjà très jolie, ma puce, la rassuré-je en posant une main sur celle de Lucile, qui s'est mise à trembler. Maman non plus ne met pas de maquillage, tu ne la trouves pas jolie ?
Sakura la regarde un instant, s'essuie les doigts sur sa serviette et acquiesce.
— Si, maman c'est la plus belle. C'est pour ça, que vous êtes amoureux ?
Je retiens mon rire et la débarbouille de toute la sauce échappée de son hamburger.
— Pour ça, et pour plein d'autres raisons, affirmé-je.
— Sakura, chérie ? On a quelque chose de très important à te dire, annonce finalement Lucile, me laissant pantois.
On s'était mis d'accord pour lui annoncer aujourd'hui, évidemment, mais pas là, maintenant. Pourtant, Sakura nous dévisage à tour de rôle et fronce les sourcils, et plus aucun doute ne plane au-dessus de moi : elle le voudra.
— Aujourd'hui, on va aller voir un monsieur pour qu'il discute un peu avec toi, commence Lucile.
— Est-ce qu'il va encore falloir que je dise au monsieur que je veux rester toute la vie avec toi et Tadhg ?
Sa mère pouffe légèrement et cache une perle salée qui coule sur sa joue, me laissant continuer :
— En quelque sorte, ma puce. Avec maman, on va aller expliquer au monsieur que tous les trois, on est une famille, tu comprends ?
Nouveau froncement de sourcils de la petite puce.
— Il faudra que je dise au monsieur que t'es mon papa, alors ?
Et les larmes coulent à flot lorsque j'acquiesce.
— Oui, chérie. Tu veux toujours que Tadhg soit ton papa, hein ? s'assure Lucile alors que Sakura est en train de m'étrangler avec ses petits bras.
— Ouuiiii ! Je veux que papa soit mon papa, et que tu restes ma maman, et qu'on reste tous les trois ensemble pour toute la vie entière !
Je pleure, Lucile pleure, Sakura pleure. Notre fille. Mademoiselle Sakura Legrand-Gallagher. Notre famille.
— Ça veut aussi dire qu'on va devoir changer de maison, explique Lucile à sa fille. On va aller vivre avec... Papa, annonce-t-elle en caressant le dos de ma main. On va aller vivre avec papa.
Mon cœur éclate en morceaux face aux mots qu'elle a employés.
— Je peux arrêter de t'appeler Tadhg, alors ? Je peux t'appeler papa ?
Je hoche la tête, ris lorsqu'elle se met à répéter le mot des centaines de fois sans desserrer son étreinte. Je caresse son dos d'une main, fais signe à Lucile de nous rejoindre sur la petite banquette, et lance un câlin collectif en l'attirant vers nous.
— Je t'aime, ma puce, assuré-je à voix basse à Sakura. Je t'aime très fort.
Elle m'offre un large sourire, dépose un petit baiser sur ma joue et affirme :
— Je t'aime encore plus fort, papa.
Et mon monde tourne un peu mieux.Huit heures plus tard, les papiers sont signés. Je suis définitivement, et légalement, devenu le père de Sakura. J'ai une petite fille de presque cinq ans qui ne cesse de sautiller dans mon appartement, lorsqu'elle découvre la chambre que Lucile et moi lui avons préparée. Au mur, j'ai peint une fresque représentant des fées et un château en arrière-plan. Son lit est décoré d'une toile tendue au-dessus, qui tombe joliment de part et d'autre de la tête de lit.
— C'est trop beau ! s'extasie-t-elle en se laissant tomber sur le matelas, après avoir pris un bain et manger des bonbons à outrance. Je veux toujours toujours rester ici, maintenant.
Bras croisés et sourire aux lèvres, Lucile nous observe depuis le pas de la porte alors que Sakura se glisse sous les draps et ferme les yeux une seconde. Elle nous rejoint juste après pour la séance d'aérosol, caressant les cheveux de sa fille tandis que celle-ci respire longuement dans le nébuliseur, plusieurs fois, avant de s'allonger au milieu de tous les doudous que je lui ai offerts ces dernières années.
— Regarde, chérie, tu as une petite cloche ici, lui montre Lucile en désignant la table de chevet collée au lit. Si tu te réveilles dans la nuit et que la poudre de fée a décidé de t'embêter, tu devras la faire sonner très fort, d'accord ?
Sakura acquiesce, se saisit de la cloche et la fait tinter avant de la reposer.
— Et papa et toi vous viendrez pour enlever la poussière de fée ?
Lucile me lance un regard en coin, m'intimant de répondre.
— Oui, ma puce. L'un de nous viendra.Ce soir-là, Sakura s'endort entourée de deux parents, après une histoire racontée à tour de rôle par Lucile et moi.
L'histoire d'une petite fée courageuse, venue au monde il y a cinq printemps, dont les ailes vont se colorer d'ici quelques mois.
L'histoire d'une petite fée que personne n'oubliera jamais, qui aura marqué les esprits, et qui aura réussi à faire tomber amoureux une maman battante et un kiné trop borné.
VOUS LISEZ
Et les mistrals gagnants...
RomanceLucile, vingt-quatre ans, élève seule Sakura, sa fille de quatre ans. Son "joli cerisier", comme elle aime tant l'appeler. Fort, robuste, qui peut traverser toutes les tempêtes. Seulement, parfois, les tempêtes sont trop puissantes pour un si jeune...