Chapitre 67 - Lucile

29 3 0
                                    

Le 19 novembre 2022, Montpellier

     Lorsque nous arrivons à l'hôpital, une heure et demie plus tard, nous trouvons Sakura toujours endormie dans son petit lit. L'infirmière m'assure qu'elle a passé une bonne nuit, qu'elle ne s'est réveillée qu'une seule fois mais qu'elle a fini par se rendormir rapidement, et que sa toux s'est calmée depuis son admission.
     Je m'installe dans le siège à côté d'elle tandis que Tadhg se contente du tabouret sous la fenêtre, puis je prends la main de Sakura dans la mienne et dépose un baiser sur son front.
     — Bonjour, petit cerisier, murmuré-je dans son oreille en lui caressant les cheveux. Encore une journée ou deux, et tu pourras rentrer à la maison, chérie.
     Elle ouvre un œil, un léger sourire prenant place sur son visage.
     — T'es venue avec papa ? demande-t-elle si bas que je peine à l'entendre.
     Je lui offre un sourire contrit et me décale légèrement, de sorte qu'elle voit Tadhg derrière moi.
     — Non, mais regarde qui est venu te rendre visite !
     Elle fronce les sourcils, replonge son regard dans le mien et me tire légèrement par le pull pour que je m'approche, avant de chuchoter dans mon oreille :
     — Alors t'es venue avec papa, affirme-t-elle de but en blanc.
     Mon cœur rate un battement. Puis deux. Puis trois. Ne sachant pas quoi répondre, je hoche légèrement la tête avant de me rasseoir sur la chaise, gardant ses doigts entre les miens.
     — Pauline m'a dit que tu n'as pas encore mangé, ce matin ?
     — J'aime pas la compote.
     Je pouffe alors que Tadhg traîne le tabouret de l'autre côté du lit, inconscient que ma fille vient de l'appeler « papa » alors qu'il était juste à côté. Il saisit son autre main restée libre, trace des petits cercles sur sa peau avant de chercher ce que l'on a emporté avant de partir.
     — Tiens, petite puce. Mange au moins ça.
     Il lui tend un scone à la confiture qu'elle s'empresse de croquer, et la voir avaler quelque chose me rassure bien plus que je ne l'aurais pensé : hier, c'est à peine si elle a réussi à prendre trois bouchées de ses haricots verts, et elle dormait lorsque le repas du soir est arrivé.
     — C'est toi qui l'a fait ? se renseigne-t-elle en terminant le gâteau.
     Tadhg hoche la tête, sourire aux lèvres, avant de lui en donner un autre.
     — C'est bon ?
     Elle acquiesce vivement, ne se fait pas prier pour manger le deuxième aussi vite que le premier, puis insiste pour que je lui mette un dessin-animé. Les chambres en pédiatrie ne proposent pas de télévision, si bien que je dois sans cesse ramener mon ordinateur lorsque Sakura est hospitalisée – ce qui peut parfois arriver même lorsque son état de santé n'est pas préoccupant.
     Je finis par céder, la laisse choisir la Pat Patrouille et me plaît à entendre le rire de Tadhg, mêlé à celui de Sakura, lorsque le dessin-animé commence.
     Alors t'es venue avec papa.
     Oui, ma puce, je suis venue avec papa. Je suis venue avec l'homme qui, certes, ne t'a pas donné la vie, mais qui est là chaque jour depuis ton premier anniversaire, qui t'a appris à mettre ta veste correctement, qui t'a appris certains mots, qui t'apprends chaque jour à être encore plus courageuse que le précédent.
     Un jour, dans quelques mois ou dans quelques années, cet homme deviendra, je l'espère, officiellement ton papa. Encore faudrait-il que j'aie le courage de le lui demander.



     À la fin de la journée, lorsque le pédiatre passe voir Sakura, il nous annonce que l'on peut espérer rentrer à la maison demain en fin d'après-midi. Il ajoute que le dernier bilan concernant l'état des poumons de Sakura était relativement bon, mais qu'on va devoir en refaire un dans quelques jours afin de vérifier si la bronchite n'a pas contribué à accélérer la progression de la mucoviscidose.
     — Vous devriez la garder à la maison quelques jours de plus, pour qu'elle évite de retomber malade directement après, termine-t-il enfin avant de me serrer la main. Et n'oubliez pas : votre fille est bien plus forte que vous ne le croyez, elle ne se laissera pas faire si facilement par la maladie.
     Je le remercie avant d'aller rejoindre Tadhg, qui prend l'air dans le parc du CHU. Lorsque je m'approche, il est au téléphone avec ses parents, alternant entre l'irlandais et l'anglais aussi naturellement que je parle français. Heureusement, d'ailleurs.
     — I have to go, I'll call you back. Love you.
     Il raccroche lorsque j'arrive juste devant lui, me saisit par la taille et me fait asseoir sur ses genoux avant d'embrasser ma joue.
     — Mes parents débarquent dans une semaine. C'est la première fois qu'ils viennent en France depuis plus de sept ans.
     Une ride d'inquiétude lui barre le front tandis que je dépose un rapide baiser sur ses lèvres, mes doigts soulevant son menton.
     — Ça va aller ? m'inquiété-je, car je sais que ses relations avec ses parents n'ont jamais été très simples.
     Il se force à sourire et hausse une épaule, puis pose sa tête sur mon épaule.
     — Aucune idée... Je te parie qu'ils vont encore trouver un truc à redire sur ma vie, du genre que Ciaran, lui, avait plus d'ambitions pour son futur que moi, lâche-t-il dans un souffle.
     — Alors je leur dirai que tu rends la vie d'une cinquantaine de personnes beaucoup plus facile, y compris celle de ma fille, et que ça fait de toi un être exceptionnel, le rassuré-je.
     Il ouvre de grands yeux en me regardant, relâchant ainsi légèrement son étreinte.
     — Tu veux les rencontrer ?
     Je perds mon sourire dans la seconde face au ton qu'il a employé pour me poser la question, me dégage de ses jambes et m'installe à côté, puis ramène mes cheveux derrière mes épaules.
     — Désolée... Je vais pas t'obliger à dire à tes parents que t'es en couple, ou quoi que ce soit. Je me suis emportée, t'as raison, c'était complètement con de propo...
     — Lucile ? Je serai très heureux que tu les rencontres, mo ghrá, me coupe-t-il alors.
     Il passe un bras derrière mon épaule pour me ramener contre lui, puis dépose ses lèvres sur ma tempe.
     — Tu seras juste la première fille que je leur présente, reprend-il. Mais étant donné que je ne compte pas te laisser partir de sitôt et que je suis très amoureux de toi, j'ai vraiment très envie qu'ils apprennent à te connaître.
     Je reste sans voix quelques instants avant de l'embrasser comme si ma vie en dépendait. Il lâche un petit rire lorsqu'il s'écarte, son front contre le mien.
     — Redis un truc comme ça, et je te tatoue mon prénom dans la nuit pour qu'aucune autre ne te mette le grappin dessus, koibito.
     Et je suis sérieuse, ai-je envie de rajouter. J'ai trouvé mon âme sœur, et je ne suis pas prête de la laisser partir.
     — J'ai le droit de savoir ce que signifie ce petit nom ? se renseigne-t-il alors qu'un homme âgé passe devant nous, bras-dessus bras-dessous avec une femme tout aussi marquée par les années.
     — Tu m'as laissée chercher pour mes surnoms, à toi de mener l'enquête, décrété-je avec un petit sourire aux coins des lèvres.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant