Chapitre 72 - Tadhg

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Le 13 décembre 2022, Montpellier

     Sakura détend l'atmosphère les deux premières heures du dîner. Puis, commençant à s'endormir à table, Lucile me fait un petit signe de tête et la porte jusqu'à sa chambre, dont elle ferme la porte. Je me retrouve seul face à mes parents, qui ont le regard posé sur leur assiette. Puis je ferme les yeux une seconde, prends une longue inspiration, et me lance en anglais :
     — Je suis désolé d'avoir réagi comme ça, la dernière fois.
     Un autre silence, un tintement de verre.
     — Non, fils, tu n'as pas à être désolé. C'est ta mère et moi qui le sommes. On ne se rendait pas compte de la place que prenait le fantôme de ton frère dans nos vies, et qu'on avait raté tant de choses avec toi, avoue mon père.
     Ma mère renifle légèrement, se lève et prend la place qu'occupait Lucile cinq minutes plus tôt. Ses mains saisissent les miennes.
     — On voulait juste que tu puisses connaître Ciaran, tu sais... Mais ton père a raison : on en a oublié l'essentiel. Toi. Ta singularité, et ta vie. Tu n'es pas ton frère, et tu ne le seras jamais, mais tu n'en restes pas moins formidable, chéri. Je suis désolée de t'avoir tant comparé avec lui, alors que tu es unique et que c'est tout ce qui compte.
     Elle pleure doucement, sans trop oser faire de bruit, tandis que je la serre dans mes bras un long moment. Puis, à nouveau, elle s'écarte et reprend la parole :
     — Sakura est une petite fille adorable, et Lucile est une femme formidable. Je suis sûre que ça marchera, entre vous, et que vous ne ferez jamais les mêmes erreurs que ton père et moi si vous perdez la petite trop tôt.
     Sa dernière phrase me fait grimacer, parce que je n'imagine pas une seconde que la mucoviscidose prendra Sakura de sitôt. Elle s'est battue quatre ans et demi, elle se battra encore pour longtemps, mais ma mère a raison sur un point : même si la maladie l'emporte dans quelques années, même si Lucile met au monde un autre enfant un jour, elle ne le comparera jamais à Sakura. Cette petite puce est beaucoup trop unique en son genre pour être remplacée, ou pour qu'un autre petit monstre la remplace. Et aujourd'hui, je comprends que mes parents n'ont jamais cherché à remplacer Ciaran avec moi. Ils n'ont jamais cherché à le retrouver dans mes traits, dans mes passions, et dans tout le reste.
     — C'est encore récent entre nous, mais c'est la première fois que je tombe amoureux, maman, annoncé-je, sûr de moi. C'est la première fois que je suis prêt à tout pour quelqu'un, et Lucile et Sakura sont tout ce que j'ai ici quand vous n'êtes pas là.
     — Tu crois qu'on pourra venir plus souvent à Montpellier, dans ce cas ? demande papa en venant me donner une tape dans l'épaule. Pour apprendre à connaître Lucile et la petite, et passer plus de temps avec notre fils.
     J'essuie une larme qui menace de s'échapper et acquiesce, au moment où la porte de la chambre de Sakura s'ouvre et que Lucile en sort, un léger sourire sur ses lèvres pleines.
     — Désolée, elle a mis un peu de temps à s'endormir, s'excuse-t-elle en venant nous rejoindre. J'apporte le dessert ?
     Je hoche la tête, la suis dans la cuisine et l'enlace par derrière, venant déposer un baiser sur sa mâchoire.
     — Merci, joli cœur. Sincèrement, merci d'être là.
     Elle tourne légèrement la tête pour venir embrasser ma bouche, passe une main dans mes cheveux et pose l'autre sur la mienne, sur son ventre.
     — Merci à toi, koibito. Tu me fais oublier juste quelques heures la maladie de Sakura, tu la fais être une petite fille normale, et tu me redonnes foi en l'amour. Donc, au contraire de ce que j'ai laissé sous-entendre tout à l'heure...
     Elle se retourne pour me faire face, se hisse sur la pointe des pieds et chuchote dans mon oreille :
     — Je serai la plus heureuse du monde si tu voulais m'épouser. Que ça soit dans trois mois, dans un an ou dans cinq ans, ma réponse sera positive, Tadhg.
     Je cache la joie qui se peint sur mon visage en l'embrassant, mes mains désormais posées sur ses joues, puis mordille sa lèvre inférieure en me reculant un peu.
     — Je garde ça en tête, alors... Mon amoureuse.
     Elle arque un sourcil et me pince le bras, tandis que je lui offre un sourire canaille qui la fait rougir.
     — Donc tu as cherché ce que « koibito » voulait dire... devine-t-elle.
     Je m'apprête à répondre, mais elle ne m'en laisse pas l'occasion et saisit le gâteau posé sur le plan de travail avant de retourner auprès de mes parents, l'ambiance se faisant beaucoup plus légère que depuis le début de la soirée.
     Pour la première fois de ma vie, j'ai présenté une fille à mes parents. Et ils semblent l'apprécier, plaisantant avec elle et n'arrêtant pas de la questionner sur ce qu'elle aime faire, ne pas faire, et tout le reste. Lucile semble plus à l'aise que tout à l'heure lorsqu'elle leur répond avec un sourire, alors que je reprends place à côté d'elle et faufile ma main sous la table pour la poser sur sa cuisse.



     Trois heures plus tard, elle se faufile sous les draps et trouve sa place entre mes bras. Un baiser léger sur mon torse, ses doigts qui jouent avec les miens, et tout mon monde qui tourne mieux lorsqu'elle est près de moi.
     — Maintenant que ça va mieux avec tes parents... commence-t-elle, hésitante. Les miens demandent s'ils veulent se joindre à nous pour Noël. Je sais qu'ils doivent partir dans cinq jours, qu'ils ne connaissent pas tout le clan Legrand et qu'ils vont totalement flipper s'ils rencontrent mes frère et sœur complètement fêlés, mais tu connais mes parents : toujours les premiers à vouloir jouer les commères, à s'imaginer un mariage et une vie parfaite, bref, ils se montent peut-être des films mais je ser...
     — Arrête de t'égarer, mo ghrá ! pouffé-je avant de déposer mes lèvres sur son cuir chevelu. Je leur demanderai demain matin s'ils veulent venir. Et je te signale que tu as toi aussi parlé mariage il y a trois heures, quant à la vie parfaite... La mienne l'est, en ce moment, avec toi et Sakura.
     Elle rougit de plus belle, se tourne pour venir s'allonger directement sur moi, son menton posé sur mes pectoraux.
     — J'ai parlé mariage parce que t'as commencé, gros malin. Mais je retire ce que j'ai dit : attends l'année prochaine pour me le demander.
     Je croise mes avant-bras dans son dos et la fais remonter pour que son visage arrive à ma hauteur, puis mêle ma langue à la sienne tandis que ses jambes s'écartent pour m'emprisonner entre elles. Du bout des doigts, elle caresse mon épaule, descend le long de mon bras, remonte et prend le même chemin sur mon torse, avant de s'arrêter sur l'élastique de mon boxer.
     — Même en hiver et à moitié à poil, t'as la peau brûlante.
     Je pouffe et remonte doucement son haut de pyjama, aux motifs panda cette fois.
     — Tu veux que je te réchauffe, joli cœur ?
     Elle m'offre son plus beau sourire, celui qu'elle a toujours quand elle s'apprête à me laisser entendre ses gémissements.
     — Et pas qu'un peu, koibito.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant