-3 - Lucile

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Le 02 avril 2023, Yoshino

     — Tu n'oublies p...
     — Lucile, stop ! Je sais ce dont ma petite-fille a besoin, alors va rejoindre Tadhg et pars à la découverte de tes racines, me réprimande ma mère alors que j'étais sur le point de lui répéter une énième fois les consignes pour Sakura.
     Je roule des yeux, embrasse la joue de ma fille, lui promets qu'on revient vite, et saisis la main que me tend Tadhg avant de le laisser m'entraîner à l'extérieur.
     Aujourd'hui, je vais peut-être avoir des réponses.
     Minimes, puisque je n'ai pu récolter que peu d'informations lorsque j'ai téléphoné à l'orphelinat en Chine. Mais, j'espère, suffisantes pour trouver la paix. Pour ne plus avoir peur de l'abandon.
     — Tu me donnes le tournis, joli cœur, note Tadhg alors que nous montons à bord d'un taxi, qui doit nous déposer dans le village où je suis née.
     Supposément.
     — Imagine qu'on ne trouve rien... Ou imagine qu'on trouve quelque chose, et que tout ce que je croyais était faux, et que j'ai été abandonnée délibérément, qu'il n'y avait aucune raison valable, que je n'étais juste pas voulue ! Ou alors, imagine que cette famille habite toujours là-bas, et qu'on la retrouve, et qu'elle me foute à la porte parce que je ne suis pas leur fille, et...
     Il me coupe d'un baiser, tendre, doux, une main posée sur ma joue. Je ferme les yeux une seconde, le temps de remettre de l'ordre dans ma tête, dans mes pensées qui partent dans tous les sens, puis me décolle de ses lèvres et le laisse me prendre dans ses bras.
     — Ça va aller, mo ghrá. Je suis avec toi, tout va bien se passer.

     Lorsque le taxi nous dépose au village indiqué dans mon dossier d'adoption – celui qui était noté sur la note qui m'accompagnait à la maternité –, une boule énorme se forme dans mon ventre. J'ai peur. Peur de connaître la vérité, peur d'apprendre que je n'ai jamais été désirée, peur... De savoir d'où je viens.
     C'était une énorme erreur. Je n'aurais jamais dû venir ici.
     Je m'apprête à faire part de cela à Tadhg, mais il emprisonne ma main dans la sienne, remercie le chauffeur et me traîne derrière lui à travers les ruelles du village. Au loin, des cerisiers en fleurs. Au-dessus de nos têtes, un ciel dégagé, seulement parsemé de quelques nuages.
     À l'intérieur de moi, pourtant, une tempête se déchaîne.
     — Lucile... Tu es venue jusqu'ici pour trouver des réponses, ne baisse pas les bras maintenant, tente de me rassurer Tadhg alors que je m'arrête sur un trottoir.
     — Je n'y arriverai pas. Je suis censée dire quoi, déjà ? « Salut, c'est moi, la fille que vous avez abandonnée en Chine il y a vingt-cinq ans » ? Je ne sais même pas où chercher...
     Il balaie ma remarque d'un geste de la main, me prend brièvement dans ses bras et continue de me faire avancer, mètre par mètre.
     Après quelques minutes de vadrouille, de tourisme, de rires, nous finissons par arriver devant la terrasse d'un petit café – ou je ne sais quoi. Je crois deviner les signes « café » et « cerisier », et triture mes doigts lorsque Tadhg nous fait entrer.
     Sur le mot qui m'accompagnait lors de mon abandon, une fleur de cerisier était dessinée. Et une tasse de café. Un sentiment étrange s'empare de moi lorsque nous franchissons le seuil de la boutique. Et au fond, je sais que c'est ici, que je trouverai mes réponses.
     Je m'approche à petits pas du comptoir, commande deux boissons traditionnelles à la femme derrière et attends quelques minutes avant de demander, dans un japonais à moitié convaincant :
     — Vous savez si un client d'ici a eu un enfant, il y a vingt-cinq ans ?
     Froncement de sourcils, haussement d'épaules. Vague signe en direction de l'arrière-boutique, où elle reste cinq bonnes minutes. Retour derrière le comptoir.
     — Tout le monde a des enfants, ici. Comment je suis censée savoir la vie de nos clients ?
     Tadhg, resté légèrement en retrait, pose une main sur ma taille lorsqu'il me voit faire un pas en arrière. J'hésite un bref instant, souffle un grand coup.
     — Une petite fille, abandonnée en Chine. Vous n'en avez pas entendu parler ?
     Tête qui se baisse. Regard qui se plante sur les tasses devant elle. Nouveau retour dans l'arrière-boutique.
     Elle en revient quelques minutes plus tard, accompagnée d'un homme d'un certain âge, les traits tirés, les rides marquées. Elle lui explique quelque chose à voix basse, que je n'arrive pas à entendre. L'homme me dévisage de haut en bas, nous fait signe de le suivre.
     Il traverse une petite pièce remplie de spécialités locales, nous fait monter un escalier en colimaçon, ouvre une porte et nous fait signe de nous installer sur un sofa, à l'autre bout du petit appartement.
     Les mains tremblantes, avec Tadhg à mes côtés, je n'ose pas regarder l'environnement qui m'entoure par peur de ce qui m'attend. Puis, après dix minutes de silence pesant, l'homme prend la parole.
     — Ma fille était enceinte, il y a vingt-six ans, d'une petite fille, annonce-t-il doucement. Elle est partie avant l'accouchement, en Chine.
     Boum. Boum. Boum.
     Le visage de l'homme se déride alors que ses prunelles deviennent brillantes. Il se lève d'un bond, va farfouiller dans un tiroir près de l'entrée, revient vers nous et me tend une photo.
     Une femme, d'une vingtaine d'années, un ventre légèrement arrondi.
     — Je ne l'ai jamais revue, mais j'ai reçu une lettre une dizaine d'années après son accouchement.
     Un silence. La main de Tadhg qui presse mon genou alors que je dévisage cette photo, cette femme qui me ressemble, ce sourire qui est le même que celui de Sakura.
     — Elle disait ne pas avoir les épaules pour gérer un enfant. Elle disait avoir laissé sa petite fille devant une maternité en Chine, avec un mot et un indice sur l'endroit où chercher.
     Des réponses.
     Des réponses...
     Et des doutes.
     — Il y avait autre chose, dans cette lettre ? osé-je demander sans trop oser croire à ce hasard.
     Il hausse une épaule, me tend une autre photo.
     Un nourrisson. Emmitouflé dans une couverture.
     La même que celle qui me réchauffait, lorsque j'ai été trouvée. La même photo que j'ai actuellement dans mon sac.
     — J'ai appris il y a des années qu'elle s'était suicidée.
     Une larme roule sur sa joue, en échos à celles qui se sont échappées de mes yeux. Je retourne la photo, et manque de m'étrangler en lisant les mots écrits en anglais.
     Tu es née le 08 août 1997, non loin de la maternité où tu as été trouvée, en Chine. Tu portes un pyjama rose, une couverture blanche, et tu serres dans tes bras un ourson en peluche marron. Ta maman est Japonaise, et a grandi non loin de Yoshino, la montagne des cerisiers. Et si tu lis ce mot, c'est que tu as retrouvé tes grands-parents.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant