Chapitre 42 - Tadhg

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Le 29 août 2022, Montpellier

     Elle a refusé tous mes appels, n'a répondu à aucun message. C'est le néant, le vide. Je ne sais même pas si Sakura a pu être libérée de son plâtre. Lucile a annulé toutes les séances de kiné, j'ai appris par un collègue qu'elle fait venir un kiné libéral à domicile.
     Son dernier message tourne en boucle dans ma tête, m'empêchant de dormir. En dix jours, j'ai dû avoir vingt heures de sommeil maximum. Tu mérites beaucoup mieux qu'une maman toujours sur ses gardes qui ne pourra jamais se donner totalement à toi.
     Tu mérites beaucoup mieux qu'une maman.
     Tu mérites beaucoup mieux.
     Si seulement elle me laissait lui expliquer que c'est elle, que je veux. Seulement elle, et Sakura. Nous trois. Rien d'autre.

     — Tu bois de la bière à dix heures du matin, maintenant ?
     J'avais oublié que Marc avait le double des clés de chez moi. J'ai ignoré son texto hier soir, son appel ce matin, tout comme ceux des jours précédents. Je préfère broyer du noir, ressasser notre soirée qui était pourtant parfaite, retenir le vide immense formé par l'ignorance de Lucile à l'intérieur de mon cœur.
     — Si c'est pour me casser les couilles, tu peux dégager, grogné-je en reprenant une gorgée, avachi dans mon canapé et toujours en pyjama.
     — Ton petit cœur est brisé, TaïTaï ? Raconte tout à tonton Marc, mon chou, plaisante-t-il en se laissant tomber à mes côtés.
     J'hésite, soupire bruyamment, avale cul sec le reste de ma boisson et passe une main sur mon visage avant de me lancer :
    — J'ai tout perdu, mec. Lucile ne m'a pas donné de nouvelles depuis dix jours, elle a annulé toutes les séances de Sakura, elle croit qu'elle ne me mérite pas... Je sais pas quoi faire, avoué-je à demi-mot.
     — Te bouger le cul et aller jouer Roméo à sa fenêtre, déjà. Merde, ta Juliette a besoin d'être rassurée, de savoir que tu vas pas la laisser tomber si elle se donne à toi, et toi t'es un pauvre con qui attend sur son canapé qu'une maman inquiète pour sa fille fasse le premier pas vers un mec qu'elle connaît depuis trois ans !
     Je grimace, mais il a raison. C'est à moi d'aller lui dire en face que je me fiche des autres, que j'en ai rien à faire de devoir m'accrocher comme un malade pour qu'elle me laisse une place dans sa vie. C'est à moi de lui faire comprendre que qu'importe le temps que ça prendra, j'attendrai qu'elle soit prête à tout me donner parce que c'est elle que je veux aimer, embrasser, c'est d'elle que je veux prendre soin chaque jour, que ça me rend malade qu'elle pense ne pas être à la hauteur, parce que je suis prêt à me mettre à son niveau si c'est ce qu'elle veut.
     — Et je suis censé faire quoi ? Me pointer chez elle, tambouriner à sa porte jusqu'à ce qu'elle appelle les flics, et l'embrasser de force si elle accepte de m'ouvrir ?
     Je n'ai jamais été autant terrifié à l'idée de dire à une femme ce que je ressens pour elle. Il faut dire qu'à quasiment vingt-huit ans, je n'ai eu qu'une seule relation sérieuse qui s'est soldée par une tromperie, et j'ai ensuite enchaîné les coups d'un soir jusqu'à me rendre compte de ce que je commençais à doucement éprouver pour Lucile, il y a trois ans.
     Oui, je suis le pauvre type des comédies romantiques qui est prêt à attendre toute sa vie une fille qui se fiche complètement de lui.
     — Déjà, tu vas aller te doucher et t'habiller convenablement, et ensuite tu lèveras ton cul de ces coussins pour, effectivement, aller toquer à sa porte et essayer de lui parler. Bordel, t'as vingt-huit ans, t'es plus un gamin !
     Je me remue alors, parce qu'il a raison et que j'ai besoin de parler à Lucile, aujourd'hui, maintenant, pour lui dire tout ce que je meurs d'envie de lui avouer.
     Je prends mon temps pour raser ma barbe, ne laissant qu'une fine couche de poils. J'enfile un bermuda et un tee-shirt, passe comme une furie devant Marc et claque la porte, courant presque pour arriver le plus rapidement possible chez Lucile.

     Je suis dégoulinant de pluie en rejoignant son palier. Je n'ai pas pris la peine de regarder par la fenêtre avant de partir, si bien que mon tee-shirt, blanc qui plus est, me colle atrocement. Je fais les cents pas une minute avant de me décider à sonner à la porte, retenant mon souffle lorsque celle-ci s'entrouvre.
     — Qu'est-ce que tu fous ici ?
     Je devine d'ici qu'elle a pleuré. Ses yeux sont cernés, probablement autant que les miens, rouges et gonflés. Sa voix n'était qu'un murmure, qui me brise un peu plus le cœur.
     — Il faut qu'on parle, Lucile. S'il-te-plaît, imploré-je presque, refusant de perdre encore du temps que je pourrais passer avec elle.
     — Je t'ai déjà tout dit, Tadhg. Tu n'as pas le droit de te pointer chez moi sans prévenir.
     Elle s'apprête à refermer la porte mais je glisse un pied dans l'embrasure, grimaçant lorsqu'il est légèrement écrasé. Je tente un pas en avant, et retente ma chance :
     — S'il-te-plaît, joli cœur. J'ai passé les dix derniers jours à m'inquiéter pour vous deux, et tu ne peux pas juste me repousser après la soirée qu'on a passée. Juste cinq minutes.
     Elle souffle longuement avant de me laisser entrer, et je découvre un appartement empli de cartons, quasiment vidé de ses meubles.
     — Vous déménagez ? demandé-je, même si la réponse est évidente.
     — Heu... Oui. Un appartement se libère dans l'immeuble d'à côté, il a deux chambres donc... Bref.
     Elle évite mon regard une seconde, avant de poser ses poings sur ses hanches et de planter ses jolis yeux dans les miens :
     — Qu'est-ce que tu veux ?
     — Que tu m'expliques pourquoi j'ai aucune nouvelle depuis dix jours, déjà, bougeonné-je en croisant les bras.
     Elle passe une main dans ses cheveux, me laisse m'approcher un peu et se mord la lèvre inférieure avant de se lancer :
     — Je te l'ai déjà expliqué. Tu mérites mieux, et je ne veux pas être celle qui te brisera le cœur.
     Un sanglot lui échappe alors que je reste pantois, à deux doigts de lui avouer que c'est déjà fait.
     — Et si je m'en fiche, de mériter mieux ? Lucile, ça fait trois ans que je te vois tous les jours ou presque, j'ai appris à te connaître et je sais que c'est toi que je veux pour me briser le cœur. Pas une autre : toi, et juste toi.
     Une perle roule sur sa joue, qu'elle ne tente pas de retenir. J'ai mal pour elle, j'ai mal de savoir qu'elle ne voit pas en elle ce que j'aperçois depuis des années, mais je n'ai pas le droit de la forcer, et je le sais. C'est pourquoi je résiste à l'envie de poser une main sur sa joue, de la prendre dans mes bras, de la supplier de me donner une chance.
     — Je t'ai laissé une soirée, Tadhg. Une soirée, et ça a suffit pour qu'il arrive quelque chose à ma fille ! J'ai pas le droit de...
     Elle craque complètement, se laisse tomber sur une chaise contre le mur de la pièce et pose ses coudes sur ses genoux, la tête entre les mains.
     — Quand Sakura est née, je lui ai promis d'être toujours là pour elle, et ça n'a pas été le cas... avoue-t-elle, secouée par les sanglots. Je ne peux pas refaire ça.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant