-7 - Lucile

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Le 09 avril 2023, Montpellier

     Retour à la réalité. À la mucoviscidose qui empêche de plus en plus ma fille de respirer correctement. Aux nuits blanches dans l'appartement que nous partageons désormais avec Tadhg. Aux veillées à ses côtés lorsque le coucher a été mouvementé.
     Ces quelques jours loin de tout ont été bénéfiques pour tout le monde. Pour mes parents, qui ont enfin pu prendre quelques jours de vacances, les premières à l'étranger. Pour Sakura, qui a laissé de côté le CHU. Pour Tadhg, qui a pu se créer des souvenirs avec notre fille.
     Pour moi, qui ai pu découvrir mes racines, rencontrer un grand-père avec lequel j'ai promis de garder des liens.
     Pourtant, alors que nous rentrons enfin sur Montpellier, la pluie s'écrasant à grosses gouttes sur le pare-brise de la voiture, mon sourire ne m'a pas encore quitté. Là, maintenant, je suis la plus heureuse du monde d'avoir pu faire découvrir à ma fille les cerisiers en fleurs, comme elle l'avait rêvé. Ma Sakura, qui porte sans même l'avoir voulu le même prénom que sa grand-mère biologique. Que celle qui m'a donné la vie, avant de me laisser seule, au milieu de la nuit, sans jamais réussir à tourner la page.

     — En rentrant, je veux qu'on fasse un gros gâteau à l'orange ! annonce Sakura sur son siège auto, me faisant sursauter.
     Tadhg se moque gentiment de moi et pose une main sur ma cuisse, alors que je me tourne vers la banquette arrière.
     — Tu ne veux pas plutôt qu'on aille dormir jusqu'à demain matin ?
     — Je suis pas fatiguée ! J'ai dormi dans le navion, et après j'ai dormi dans le train.
     Je pouffe en passant ma main entre les sièges pour lui chatouiller le dessous du pied. Elle a enlevé ses chaussures à l'instant où je l'ai attachée dans le siège, et s'amuse depuis à balancer les jambes d'avant en arrière en tapant doucement sur celui de Tadhg, côté conducteur.
     — Mais papa et moi, on n'a pas beaucoup dormi, chérie. Tu crois qu'on pourrait plutôt regarder des dessins-animés, et faire le gâteau demain ? proposé-je.
     Sakura réfléchit une longue seconde, se penche légèrement en avant pour récupérer le doudou posé à côté d'elle et m'offre son plus beau sourire – celui qui rend ses joues encore plus rondes, ses yeux encore plus brillants, son nez encore plus mignon.
     — D'accord. Mais il faudra que papa chante toutes les chansons avec moi. Je veux regarder Là-haut, et La Reine des Neiges, et le film avec le chien blanc qui part à l'aventure.
     — Volt ? demande Tadhg en se garant au pied de son immeuble – de notre immeuble.
     — Oui. Tu l'as déjà vu ? Maman elle a dit qu'il était trop bien, mais moi, je l'ai pas encore vu. Est-ce qu'on pourra avoir un chien tout blanc, nous aussi ?
     Je pince les lèvres en détachant ma ceinture, laissant à Tadhg le loisir de sortir nos valises le temps que je m'occupe de Sakura.
     — Non, chérie, on ne prendra pas de chien, opposé-je alors qu'elle descend de la voiture, avant de croiser les bras devant elle et d'aller rejoindre Tadhg.
     Elle lui fait sa plus jolie bouille de chipie, les yeux plissés pour se protéger du soleil qui a décidé de percer légèrement à travers les épais nuages gris.
     — Papa, est-ce qu'on peut avoir un chien ? S'il-te-plaît !
     Je lève les bras en direction de Tadhg, lui faisant signe de se débrouiller. Il a adopté Sakura, je ne suis plus la seule à devoir passer pour la méchante mère qui refuse ses petits caprices.
     — Non, ma puce, maman te l'as déjà dit. Mais on peut trouver un super chien-robot qui aboie comme un vrai !
     Je soupire longuement en lui faisant les gros yeux, il hausse les épaules et dépose un baiser sur ma tempe.
     — Tadhg ! Tu ne peux pas tout le temps trouver un compromis et lui offrir des trucs ! protesté-je alors que Sakura appuie déjà sur le bouton d'appel de l'ascenseur, tout sourire.
     — Lucile... Je suis son papa, mais tu restes celle qui l'a mise au monde et élevée seule durant quatre ans et demi. Donc je sais que je n'ai pas mon mot à dire sur son éducation, mais tu ne feras pas de Sakura une enfant pourri-gâtée en lui faisant plaisir de temps en temps.
     Je lui pince le bras sans répondre, et nous rejoignons l'appartement. Je profite que Sakura sautille vers les toilettes, en répétant « pipi » sans s'arrêter, pour prendre le menton de Tadhg entre mes doigts et lui baisser le visage. Un rapide baiser sur ses lèvres, qui se prolonge légèrement, puis je garde mes yeux dans les siens et affirme :
     — Tu AS ton mot à dire sur son éducation, Tadhg. Tu l'as adoptée, tu es son papa, je partage mes droits parentaux avec toi. Mais lui offrir tout ce qu'elle veut, s'il-te-plaît, arrête.
     Il se passe une main dans les cheveux et serre la mâchoire un instant.
     — OK, répond-il simplement. Mais laisse-moi au moins lui prendre ce chien-robot.
     Son sourire se voit aux rides dans le coin de ses yeux, et je laisse le mien s'étirer sur mon visage avant qu'il m'embrasse longuement, un bras autour de ma taille.
     — Maman, j'ai fait caca !
     J'explose de rire dans les bras de Tadhg, fais un vague signe en direction des toilettes et demande :
     — Je suppose que je gère ça, moi ?
     Il acquiesce, cueille mes lèvres et se détache de mon étreinte en m'annonçant qu'il s'occupe du pop-corn tandis que je rejoins ma petite chipie aux toilettes.
     Les joies de la maternité...

     — Un chat ! Un lapin ! Tatie Mathilde qui crie sur tonton Bastien ! Tonton Grégory qui essaie de chanter !
     Tadhg est plié en deux sur le canapé alors que j'essaie depuis dix minutes de faire deviner le mot « chanteuse » à Sakura.
     — Chérie, il faut que tu réfléchisses un minimum à la réponse, ris-je avant de reprendre mon sérieux.
     — Heeuu... Mamie quand elle danse dans la cuisine ?
     Cette fois, je m'écroule sur les coussins et en balance un dans la figure de Tadhg. Les mimes, c'était son idée, mais il vient de passer plus de temps à se moquer qu'à essayer de trouver les réponses. Et j'ai beau les aimer tous les deux de tout mon cœur, je reste une très mauvaise joueuse.
     — C'était une chanteuse, Sakura ! grogné-je sur son ventre en la chatouillant.
     — Mais tu m'as dit non quand j'ai dit que c'était tonton Grégory qui essayait de chanter ! s'offusque-t-elle.
     Je cherche du soutien auprès de Tadhg, qui se contente de me montrer sa dentition parfaite :
     — Elle a raison, t'as triché !
     Je murmure « plus de sexe » dans sa direction, il ouvre la bouche en grand et se reprend :
     — Mais maman a encore plus raison, ça n'a rien à voir avec une chanteuse !
     Et j'éclate de rire en le voyant avec son air victorieux.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant