Le 25 juillet 2022, Montpellier
Mon frère m'a donné rendez-vous dans un café, place de la Comédie, pour enfin me raconter ce fameux voyage au Brésil. J'ai hésité à prendre Sakura, avant de me dire que passer un peu de temps seuls avec Grégory nous ferait du bien à tous les deux. Pour l'une des premières fois de sa vie, ma fille est donc gardée par Mathilde, à Gignac.
Autant dire que je vérifie mon téléphone toutes les deux minutes pour voir si je n'ai pas de messages inquiétants.
— T'as peur que notre sœur ne soit pas capable de supporter les divagations de ta fille ? Je dois dire que Sakura te ressemble vachement, sur ce point : elle parle H vingt-quatre, et toi tu déblatères à une vitesse folle quand t'es stressée.
Je fronce le nez et lui offre une superbe vision de mon majeur, puis repose mon téléphone sur la table.
— Bon, alors, le Brésil ? éludé-je rapidement, attendant de connaître enfin ce qu'il a pu y découvrir.
Il sirote son diabolo-menthe avant de répondre, me faisant patienter plus que de raison :
— Déjà, Pablo est venu avec moi, annonce-t-il de but en blanc. C'était pas prévu, mais il m'a fait la surprise en débarquant à l'aéroport. Le soir-même, on se mettait ensemble.
— T'as pas perdu de temps, dis-donc ! noté-je.
Il roule des yeux, blasé, mais je crois que je ne l'ai jamais vu sourire autant. Il mérite tout le bonheur du monde, et Pablo est celui qu'il lui faut : gentil, drôle, qui a l'air visiblement proche de sa famille comme Grégory... Parfait.
— Quoi, t'aurais préféré que je me voile la face pendant trois ans, comme toi avec le kiné canon ? ricane-t-il, ce qui lui vaut encore une fois un doigt d'honneur.
— Je suis venue pour parler de toi, Greg, alors laisse Tadhg là où il est, OK ? le prévins-je avant de prendre une gorgée de ma limonade. T'as pu avoir les réponses que tu cherchais ?
Il hausse les épaules et se gratte le menton, avant de sortir son téléphone de la poche de son bermuda.
— Le premier jour, on est allés à l'orphelinat où j'étais. C'était un peu... horrible, de voir tous ces enfants qui attendent une famille. J'ai pu rencontré une nourrice qui travaillait déjà là quand je suis arrivé, elle m'a expliqué qu'elle avait demandé à la directrice de laisser la lettre dans mon dossier, mais que ça n'avait servi à rien. C'est elle qui l'avait, donc...
Il laisse passer un silence, me montre la photo d'une femme, qui doit avoir l'âge de ma mère, les cheveux légèrement plus grisonnants. Ses traits sont marqués par les années, son regard semble épuisé, pourtant le sourire qu'elle affiche, alors que Grégory pose à côté d'elle, est remplie de bonheur.
— En gros, ma mère biologique est tombée enceinte de son violeur. Elle avait quinze ans, elle serait devenue la honte de sa famille, donc ses parents ont tout fait pour cacher sa grossesse. Quand je suis né, ils ont attendu qu'il fasse nuit pour me déposer devant la porte de l'orphelinat. Ensuite, les nourrices ont attendu de voir s'ils revenaient me chercher, mais au bout de cinq mois, ils ont fini par contacter papa et maman pour qu'ils viennent me rencontrer. Fin de l'histoire, je n'ai rien trouvé d'autres, révèle-t-il, les yeux rivés sur ses mains. On a essayé de retrouver la trace de cette famille, mais ils se sont tous volatilisés, ou alors ils ont quitté la région dans laquelle je suis né.
— Tu regrettes ? demandé-je doucement.
Il rive ses yeux aux miens, m'offre un sourire en coin et entremêle nos doigts.
— Non. C'était cool, de voir l'endroit où j'ai passé mes premiers mois. Puis sans ça, Pablo et moi seront toujours en train de se regarder dans le blanc des yeux sans tenter une relation. Je crois... Je crois qu'il fallait que je fasse ce voyage pour me rendre compte qu'en fait, je me fiche de savoir d'où je viens réellement ; je n'ai pas pu retrouver ma mère biologique, et alors ? J'ai déjà des parents qui m'aiment plus que tout au monde, et deux sœurs légèrement folles qui me rendent la vie plus belle.
Je pince les lèvres pour retenir mes larmes, mais c'est peine perdue : une première goutte salée s'échoue sur ma joue, vite suivie d'une autre. Grégory se lève dans la seconde pour venir me prendre dans ses bras, et je me rends compte seulement maintenant d'à quel point il a grandi, ces dernières années. De l'adolescent sans cesse révolté contre ses parents adoptifs, il est devenu un jeune homme sûr de lui, de qui il est, qui n'a pas besoin de nous pour faire des choix importants.
— C'est parce que j'ai dit que t'étais folle, que tu pleures ? se moque-t-il gentiment, ma tête enfouie dans son cou.
— Je t'aime, idiot ! Je suis juste super fière d'avoir un frère comme toi, formulé-je entre deux sanglots.
Il me frotte le dos d'une main, essuie mes larmes de l'autre, et m'assure :
— Moi aussi je t'aime, débile ! Tu n'imagines pas à quel point tu m'inspires, Lucile. T'es forte, t'es courageuse, t'es une maman formidable, et je remercie tous les dieux qui existent sûrement de m'avoir fait tomber dans cette famille.
Je m'abreuve de ces paroles pour sécher mes larmes, même si j'ai envie de continuer à pleurer encore et encore. Une longue minute plus tard, il finit par se détacher de moi et rejoint sa place, puis il lève un sourcil dans ma direction :
— Et maintenant, à mon tour de jouer à l'inspecteur : il se passe quoi, avec le médecin de ta fille ? m'intime-t-il, les yeux plissés comme pour essayer de lire en moi.
Je replace une mèche de cheveux derrière mon oreille et soupire longuement.
— Je sais pas trop... On s'entend bien, c'est tout. Il est vraiment génial, avec Sakura, et elle l'apprécie vraiment, avoué-je à demi mot, triturant mes doigts pour éviter son regard suspicieux.
— Toi aussi, tu l'apprécie, hein ? devine-t-il sans mal, me mettant encore plus mal à l'aise.
Oui, bon sang, je l'apprécie.
— Ça changerait rien, si c'était le cas. Je ne peux pas craquer pour le kiné de ma fille, ça ne se fait pas.
Je le vois lever les yeux au ciel, puis hausser les sourcils.
— Tu peux craquer pour le kiné de ta fille, et t'aurais bien le droit ! Au fait... Comment ça s'est passé, quand vous vous êtes vus après ce fameux coup de téléphone ? insiste-t-il, probablement désireux de trouver la mort incessamment sous peu.
— Il a plaisanté en disant qu'on l'avait pris pour un sex-toy humain, avoué-je en déglutissant péniblement, une main devant mon visage. Et il a expliqué à Sakura que lorsque quelqu'un devient tout rouge, ça peut aussi être parce qu'il est gêné, en me prenant comme exemple...
L'abruti qui me sert de petit frère s'esclaffe, faisant tourner les têtes des autres clients en terrasse, puis se penche vers moi :
— Ouais, il t'a ouvertement dragué, quoi ! Ma parole, t'as vraiment aucune expérience en matière de séduction, toi... Ouvre les yeux, Lucile, le mec est à fond sur toi ! Alors bouge ton gros cul et passe à la phase supérieure : le mettre dans ton lit.
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Et les mistrals gagnants...
RomanceLucile, vingt-quatre ans, élève seule Sakura, sa fille de quatre ans. Son "joli cerisier", comme elle aime tant l'appeler. Fort, robuste, qui peut traverser toutes les tempêtes. Seulement, parfois, les tempêtes sont trop puissantes pour un si jeune...