Chapitre 43 - Tadhg

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TW : récit d'agressions sexuelles

Le 29 août 2022, Montpellier

     Je m'accroupis en face d'elle, tire ses poignets pour qu'elle arrête de se cacher et passe le pouce sous son œil pour balayer une énième larme.
     — Je ne te demande pas de laisser tomber ta fille, joli cœur. Je te demande de m'accorder ta confiance, et de me laisser être là pour toi et pour elle. Je ne serai pas celui qui cassera ce lien entre Sakura et toi, mais je veux être celui qui permettra à tes racines d'être encore plus fortes. Je veux t'aider à faire tenir le cerisier debout, si tu le veux bien.
     Elle semble tellement vulnérable, tellement coupable, que j'en souffre à sa place. Je l'aime, je l'ai toujours aimé, tout comme j'aime Sakura. Nous trois, j'en rêve depuis des mois.
     — Comment tu peux vouloir de ça ? demande-t-elle doucement, ses larmes commençant à se tarir.
     — Parce que je te veux toi, Lucile. Avec toutes tes angoisses, toute ta peine, avec ta famille un peu folle et ta fille adorable. Je sais que t'as peur, que tu ne veux pas prendre le risque de donner ta confiance pour qu'elle soit brisée la semaine qui suit, mais tu peux me faire confiance : même si ça ne fonctionne pas entre nous, tu pourras toujours compter sur moi, Sakura le pourra aussi, et je ne te lâcherai pas, joli cœur. Jamais.
     Je manque de tomber lorsqu'elle s'accroche à mon cou, son visage venant se nicher contre mon épaule. Je m'assois par terre, enroule mes bras autour d'elle et la laisse pleurer de longues minutes, jusqu'à ce qu'elle relève un visage fatigué vers moi et chuchote :
     — Damien a demandé la garde de Sakura, Tadhg. Je vais la perdre.
     Bordel. Pas étonnant qu'elle soit dans cet état ! Je pose mes lèvres sur son front, caresse son dos d'une main et tente de la rassurer :
     — Elle ne le connaît même pas, les juges n'accepteront jamais de la laisser partir avec lui. Je t'aiderai, d'accord ?
     Elle hoche à peine la tête, mais une nouvelle vague de larmes inonde mon tee-shirt déjà trempé.
     — Il a des éléments contre moi... Des trucs dont je suis pas fière du tout, et qui plaideront sa cause...
     Je lui fais signe de continuer, faisant passer ses jambes sur mes cuisses pour la serrer encore plus contre moi.
     — Avec Damien, j'étais... Il était mon premier. Niveau relation et... Sexe, rougit-elle en fixant un point imaginaire devant elle. Il voulait qu'on fasse des trucs, que je lui fasse des trucs... J'étais... Je croyais que c'était normal...
     — Tu n'es pas obligée de me raconter ça, joli cœur, la rassuré-je face à son hésitation.
     Elle secoue la tête et ferme les paupières, puis reprend la parole :
     — J'étais sa chose, Tadhg. Il ordonnait, et je faisais. Il m'attachait les poignets, il appuyait sur mes épaules pour me mettre à genoux, il... Me forçait à lui faire des fellations, ou à me mettre dans telle ou telle position, jamais de façon à ce que j'ai le contrôle. Il était toujours au-dessus, et je n'avais pas le droit de lui dire ce que moi, je voulais.
     Elle reprend sa respiration, sa gorge nouée par tous ces aveux qui ne demandent qu'à sortir, et peine à continuer.
     — Un soir, il a voulu... Nous filmer, chuchote-t-elle si bas que je peine à l'entendre. J'ai refusé, et il a fini par promettre de ne pas le faire... Mais il l'a fait, Tadhg. Il nous a filmé alors que je vivais la pire soirée de ma vie.
     Je serre les dents pour m'empêcher de la laisser et d'aller trouver ce fils de pute maintenant, tout de suite, pour le castrer et lui faire bouffer ses couilles.
     — Qu'est-ce qu'il t'a fait ? tenté-je doucement, parce que je suis sûr qu'il n'y a pas que la vidéo derrière tout ça.
     Elle se mord l'intérieur de la joue, laisse tomber sa tête contre mon épaule.
     — Il m'a prise pour sa pute. Toute la nuit, il m'a baisée encore et encore, partout. Partout. J'ai jamais eu aussi mal de ma vie, mais j'étais sa copine, donc j'avais pas le droit de me plaindre... Je me sentais plus que sale, et... Le mois d'après, j'apprenais que j'étais enceinte. Sakura a été conçue cette nuit-là...
     Bordel. De. Merde. Je ne vais pas seulement le castrer, je vais aussi le tuer de mes propres mains, le faire souffrir encore plus qu'il a fait souffrir Lucile. Il l'a violée. Il a violé sa propre petite-amie. Il a violé mon joli cœur.
     Bon sang, je savais que Lucile cachait des secrets, mais ça... Ça, ça me donne envie de la garder enfermée avec moi jusqu'à ce qu'elle oublie tout, ça me donne envie de faire exploser la ville entière, d'effacer toutes ces dernières années pour qu'elle n'ait jamais à rencontrer Damien. Tant pis si ça veut dire effacer Sakura.
     — C'était un viol, tu le sais hein ? C'est puni par la loi, Lucile. Il t'a filmée à ton insu, il t'a violée et il t'a faite passer pour la méchante si tu refusais ce qu'il voulait : il n'aura jamais la garde de ta fille, joli cœur. Je te jure sur ma vie que Sakura restera avec toi.
     Je la berce contre moi, embrasse encore et encore son front et ses cheveux, me mets à pleurer avec elle. Rien que d'imaginer la Lucile de vingt ans, persuadée de devoir tout donner et tout céder par amour... J'ai mal pour elle, j'ai mal avec elle, et je voudrais prendre toute sa peine pour qu'elle puisse enfin vivre normalement.
     — Il a une vidéo, Tadhg. On voit mon visage, on voit ce qu'il fait... Et mes gémissements de douleur peuvent passer pour l'inverse... Je ne me suis pas débattue une seule fois, je l'ai laissé faire...
     — Lucile... Je ne vais pas te laisser tomber, mon ange. T'étais jeune, c'était ta première relation, tu ne te rendais juste pas compte que tout ça n'était pas normal. Mais tu pourras témoigner, tout expliquer, Sakura sera aussi interrogée... Il ne l'a pas reconnue, il n'a aucun droit sur elle, joli cœur.
     Elle hoche la tête et ouvre les yeux, puis passe un doigt sur ma mâchoire, toujours contractée. Elle semble si petite, si fragile entre mes bras... La jeune femme de vingt ans ressort enfin, expose son secret au grand jour, pour laisser la place à celle de vingt-cinq ans. Elle a tout extériorisé, tout laissé sortir, ses démons y compris. Je voulais qu'on parle ? On a parlé. Bien plus que ce que j'avais imaginé.
     — Tu veux toujours de moi ? demande-t-elle dans un murmure, qui suffit pourtant pour que mon cœur fasse un saut arrière dans ma poitrine.
     — Je te voulais hier, je te veux aujourd'hui et je te voudrai demain, joli cœur.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant