Chapitre 56 - Lucile

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TW : récit de violences sexuelles

Le 28 septembre 2022, Montpellier

     Un long silence suit ma déclaration, puis un rire se fait entendre.
     — Non mais t'es sérieuse, là ? Lucile, je t'ai jamais forcée à avoir des relations sexuelles !
     — Monsieur Argentier, restez à votre place et attendez votre tour, je vous prie. Poursuivez, madame Legrand.
     Derrière moi, un bruit de chaise qui racle le sol, puis le silence à nouveau, et ma voix qui vient le briser :
     — Il... Il m'a filmée sans mon accord, il m'a violée, il m'a forcée à coucher avec lui. Je n'étais pas consentante ni cette nuit-là, ni d'autres nuits précédentes, confié-je.
     — Ces pratiques étaient-elles violentes, madame Legrand ?
     J'avais refoulé sans même m'en rendre compte ce moment-là de mon existence. Je m'étais créée une histoire autour de la conception de Sakura, bien plus jolie que l'affreuse vérité. C'est la vidéo qui a tout fait remonter, et maintenant, je ressens à nouveau la douleur dans tout mon corps.
     — Oui.
     — Pouvez-vous décrire ce qu'il s'est passé cette nuit-là ?
     Lucile, tu n'as pas le droit de dire non ! On est en couple, si j'ai besoin de te baiser, je te baise.
     Regarde-moi ce joli cul, tout prêt pour moi...
     Une première larme. Une deuxième. Puis une centaine.
     Un très gros câlin ce soir pour recharger les batteries, alors.
     Je t'aime toi, absolument chaque facette, et j'aimerai aussi celle que tu me feras découvrir plus tard, parce qu'elles font partie de qui tu es, et que j'aime qui tu es.
     Prendre une grande inspiration, me laisser imprégner par mon nouveau bonheur, laisser sortir le malheur.
     — Il m'a demandé s'il pouvait nous filmer en train de... De le faire. J'ai refusé, je n'avais pas envie, et... Il m'a attrapée par les cheveux, il m'a forcée à me mettre à genoux...
     Je t'aime, mon ange. Je ne t'abandonnerai pas.
     — Je l'ai laissé faire... murmuré-je, peinant à retenir toutes les petites gouttes d'eau salée qui noient mes yeux. Je l'ai laissé m'obliger à lui faire une fellation, je l'ai laissé...
     Bordel, t'es encore plus bonne par derrière, petite salope.
     — Je l'ai laissé...
     Non. Je n'y arriverai pas, ces mots ne sortiront pas. Le juge doit prendre pitié, parce qu'après une longue minute de silence, il finit par dire :
     — Vous pouvez retourner à votre place, madame Legrand. Monsieur Argentier, c'est à vous.
     Son sourire satisfait m'horripile, me mets dans une colère noire. En une fraction de seconde, mes larmes sèchent, ne laissant place qu'à une seule chose : la rage de garder ma fille avec moi, et qu'elle n'ait jamais à passer ne serait-ce qu'une minute avec lui.
     — Monsieur Argentier, admettez-vous que vous n'avez pas pris de nouvelles de Sakura Legrand malgré les messages envoyés par sa mère à votre intention ?
     Il semble tellement à l'aise, comme s'il était sûr de gagner... Une boule se loge dans mon estomac tandis que Mathilde et Grégory m'adressent un petit sourire et un pouce en l'air.
     — J'avais besoin de temps pour réfléchir à la situation, et pour pouvoir mettre en place les conditions nécessaires pour que ma fille ait les meilleurs dispositions possibles à mes côtés.
     CE N'EST PAS TA FILLE ! Je suis à deux doigts de me lever à nouveau et d'aller lui en coller une, mais par chance, l'avocat se charge de clarifier la situation :
     — Pourtant, il semble que vous n'ayez jamais reconnu Sakura, à sa naissance comme dans les mois qui ont suivi. Votre livret de famille ne fait pas non plus mention de son nom, je me trompe ?
     Ses épaules semblent se tendre sous le tissu de sa chemise, pourtant c'est toujours aussi sûr de lui qu'il s'explique :
     — J'étais jeune, je n'avais pas eu de nouvelles de Lucile durant sa grossesse, je voulais juste attendre afin de pouvoir offrir un foyer stable à Sakura.
     — Vous n'êtes donc légalement pas son père, si ? Sakura ne porte pas votre nom de famille, elle ne vous connaît pas. Pourquoi souhaiter vouloir qu'elle vive avec vous seulement maintenant ?
     — Parce que sa mère n'est pas capable de subvenir correctement à ses besoins. Elle n'a jamais eu d'économies en poche, elles vivent dans un appartement bien trop petit pour le confort de ma fille.
     Bordel, je vais le tuer.
     — Il semble pourtant que madame Legrand parvient parfaitement à se débrouiller financièrement, malgré certains traitements coûteux que Sakura doit prendre à cause de la mucoviscidose. Vous semble-t-elle être une petite fille maigrichonne et instable, monsieur Argentier ?
     — Pour être honnête avec vous, j'ai vu des enfants de son âge en bien meilleure forme qu'elle, monsieur.
     Espèce d'abruti, elle a la mucoviscidose, elle n'est pas en pleine forme.
     — Monsieur Argentier, Sakura est atteinte de mucoviscidose, la comparer avec d'autres enfants en bonne santé n'est pas nécessaire.
     Ça, ça sent bon pour moi.
     — Passons à autre chose. Cette soudaine envie de prendre votre rôle paternel est-elle due à votre rencontre inopinée avec Sakura, lors d'une sortie au cinéma au mois de juin deux mille vingt-deux ?
     — Ma femme est enceinte, je veux juste pouvoir passer du temps avec mon premier enfant et rattraper le temps perdu...
     C'est qu'il me toucherait presque, le bougre ! Va au diable.
     — Monsieur Argentier, pouvez-vous répondre plus clairement aux questions qui vous sont posées ? Il semblerait que vous vous égariez du sujet, prévient le juge, avant de faire signe à l'avocat de continuer.
     — Bien, alors passons à autre chose... Pensez-vous que Sakura soit en danger auprès de sa mère ?
     — Lucile n'était pas présente lorsque Sakura a dû être amenée aux urgences le mois dernier, donc oui : je considère qu'elle met en danger ma fille.
     Dans mon dos, j'entends Mathilde pousser un petit cri. Elle balbutie des mots inintelligibles à notre frère tandis que j'attends la suite. Et toi, t'étais où pendant quatre ans ? T'étais où, quand ma fille était hospitalisée pour soigner une bactérie qui pouvait la tuer ?
     — Confirmez-vous les dires de madame Legrand concernant votre relation, monsieur ? Avez-vous été violent avec elle, l'avez-vous obligée à avoir des relations sexuelles ?
     Le sourire qu'il m'adresse lorsqu'il se retourne me donne la nausée, et c'est avec un air fier, son regard planté dans le mien, qu'il anéantit absolument tout une nouvelle fois :
     — Lucile n'a jamais su ce qu'elle voulait, vous savez. Elle est nymphomane, elle en redemandait toujours plus ; je ne l'aurais jamais violée, votre honneur.
     — Osez-vous démentir les propos de madame Legrand ?
     — Monsieur, Lucile entretient une relation avec le kinésithérapeute qui s'occupe de sa fille. Pensez-vous que ça soit un cadre de vie adéquat pour une petite fille de quatre ans et demi ? lâche-t-il, les mâchoires serrées.
     — Objection. La situation amoureuse de ma cliente ne perturbe pas ses qualités maternelles.
     — Rejetée. Monsieur Argentier, pouvez-vous développer ?
     — Lucile et monsieur Tadhg Gallagher sont en couple, votre honneur.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant