Chapitre 25 - Lucile

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Le 14 juillet 2022, Agde

     Je n'avais pas repris ma voiture depuis deux semaines, lorsque la maîtresse de Sakura m'a appelé pour me prévenir de son malaise.
     Tadhg l'a garée un peu plus loin, en dehors du parking de mon immeuble, si bien que j'ai passé trois minutes à essayer de la trouver, pour finalement sourire en arrivant devant. Il a enlevé l'autocollant « bébé à bord ».
     
En remplacement, une feuille a été découpée en cercle, un dessin en son centre : un cerisier, le même qu'il a dessiné pour Sakura en avril, est représenté en fond ; au dessus, il a peint deux petites fées, et, dessous, dans une calligraphie soignée, il a écrit « petites fées à bord ».
     Le fait qu'il ait pris de son temps pour cela me touche, bien plus que ça ne le devrait. Je me suis empressée de le remercier par message, tandis que Sakura montait dans la voiture sans remarquer ce petit changement d'autocollant.

     Je roule en direction d'Agde, climatisation allumée, pendant que Sakura chante sur la banquette arrière. Grégory est enfin rentré du Brésil hier, aussi nous avons décidé de tous nous rejoindre pour aller voir le feu d'artifice tiré sur le vieux port. Mon frère souhaite aussi nous présenter quelqu'un, et je ne crois pas me tromper en avançant qu'il doit s'agir de Pablo, le garçon dont il m'a parlé le mois dernier.
     — Dis maman, comment on fait les bébés ? Mia, la dernière fois, elle m'a dit qu'il y avait un bébé dans le ventre de sa maman, c'est trop bizarre ! lâche subitement Sakura, devenue bien sérieuse dans son siège auto.
     Je baisse le volume de la musique, termine de dépasser la fourgonnette et jette un œil dans mon rétroviseur, avant de répondre :
     — Pour faire un bébé, il faut qu'un garçon mette une petite graine dans le ventre d'une fille, et ensuite la petite graine grandit, grandit, grandit encore, pour devenir un bébé, résumé-je.
     Un ange passe, jusqu'à ce que ma fille reprenne la parole :
     — Ça veut dire qu'il faut un papa et une maman, alors ? Le monsieur qu'on a vu au cinéma avec le docteur Gallalou, c'est lui qui a mis la graine dans ton ventre ?
     L'innocence de l'enfance, c'est beau. Mais parfois, ça fait mal aussi : Sakura n'a jamais eu de papa, elle n'a jamais demandé à en avoir un, et il a fallu que Damien débarque pour qu'elle commence à poser toutes ces questions.
     — Oui, mon cœur. Mais parfois, un monsieur met une graine dans le ventre d'une madame, et le bébé grandit avec un papa et une maman différents, tu comprends ? Toi, tu as grandi dans mon ventre, mais ton papa a juste mis la petite graine, c'est pour ça qu'il n'est pas avec nous, expliqué-je, peu sûre des mots à utiliser avec une petite fille de quatre ans.
     — Ça veut dire que je peux choisir un autre papa que le monsieur qu'on a vu ?
     Elle ne lâchera pas l'affaire, la chipie !
     — Ça ne marche pas comme ça non plus, chérie. Ce que je veux dire, c'est qu'il arrive qu'un papa ne puisse pas mettre de graine dans le ventre d'une maman, alors ils adoptent un bébé qui a grandit dans le ventre d'une autre dame, éclairé-je. Par exemple, tatie, tonton et moi, on a été adoptés ; tous les trois, on vient d'une graine qu'un monsieur a mis dans le ventre d'une dame, et ensuite papy et mamie sont venus nous chercher.
     — Donc toi, tu t'es pas cachée dans le ventre de mamie ? précise-t-elle, les sourcils légèrement froncés.
     Je retiens mon rire face à son air perdu et acquiesce, tout en prenant la sortie direction Agde.

     Elle n'a quasiment pas ouvert la bouche pour les quelques minutes de trajet restant. Finalement, je crois que mes explications l'ont convaincue, au moins pour un temps.
     Je détache sa ceinture et verrouille la voiture avant de rejoindre le lieu de rendez-vous que l'on s'est donné, les trottoirs déjà plein de monde alors qu'il n'est que dix-huit heures trente. Le Sud en été, c'est l'enfer, et à Agde encore plus : je passe mon temps à vérifier que des nudistes ne se baladent pas dans une zone interdite à la pratique, histoire d'éviter que Sakura se retrouve face à des organes génitaux exposés au grand jour. Traitez-moi de prude, mais croyez-moi : des mecs de soixante ans, la bedaine à l'air et le zizi balançant de droite à gauche en marchant, ça terrorise, quand on est gamin. Oui, j'en sais quelque chose.
     — Maman, j'ai mal aux pieds ! se plaint Sakura alors que nous piétinons depuis cinq minutes, jouant des coudes dans la foule.
     Je la prends dans mes bras et bifurque vers un endroit un peu plus aéré en accélérant enfin la cadence. Au loin, je crois apercevoir le crâne dégarni de mon père, et je me hâte de rejoindre le petit groupe, soulagée de voir que ma sœur sera encore la dernière à arriver.
     — Ah bah enfin, j'ai essayé de t'appeler mais tu ne répondais pas ! m'accueille ma mère en déposant une bise rapide sur ma joue, tandis que Sakura cherche déjà à se faire la malle de mes bras.
     Je la repose par terre, salue mon père et me tourne vers Grégory, que j'enlace rapidement. Il a pris des couleurs, le bougre !
     — Alors, ce voyage en terre inconnue ? le taquiné-je gentiment, soulagée de voir que son visage s'illumine de bonheur..
     — C'était... Une vraie redécouverte de moi, je crois. Je te raconterai tout quand on sera plus tranquille.
     J'hoche la tête et me tourne vers l'homme à ses côtés. Légèrement plus grand que mon frère, la mâchoire carrée et des cils qui me rendent jalouse, je ne peux que constater que Grégory a très bon goût.
     — Tu dois être Pablo ? m'enquiers-je en souriant. Greg m'a beaucoup parlé de toi !
     Le principal concerné me lance un regard noir, et je ne remarque que maintenant que leurs doigts sont entremêlés. Merde, il aurait pu me dire qu'ils avaient passé la vitesse supérieure, tous les deux !
     — Et toi c'est Lucile, c'est ça ? La maman de la fratrie.
     OK, je l'adore déjà : il a l'air heureux d'être parmi nous, ne semble pas intrigué par notre composition familiale un peu étrange, et lorsqu'il jette un œil vers mon frère, l'affection qu'il lui porte semble sincère.
     — Exacte. Dis bonjour, chérie, indiqué-je à ma fille, les mains sur ses épaules.
     Ma petite chipie relève le visage vers Pablo, avant de demander :
     — Est-ce que t'es l'amoureux de tonton ? Maman, elle a dit qu'on peut tomber amoureux de qui on veut, ça veut dire que toi et tonton, vous avez le droit d'être amoureux.
     Je roule des yeux et m'excuse auprès du pauvre malheureux qui tombe dans notre famille de fou, mais il balaie mes mots d'un revers de la main avant de s'accroupir devant ma fille.
     — Oui, je suis son amoureux. Je m'appelle Pablo, lui apprend-il. Ton tonton m'a beaucoup parlé de toi, tu sais. Il paraît que tu es très courageuse !
     Je jette un regard noir à mon frère, et un dialogue visuel commence entre nous :
     — T'aurais pu me le dire, enfoiré !
     
Pas le temps. Je t'expliquerai.
     
T'as plutôt intérêt, frérot.
     Pablo se redresse, m'offrant un sourire compatissant, et je comprends : Grégory l'a prévenu, pour Sakura.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant