Texte n°396

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Note de l'archiviste : amandinegraslin est introuvable. Ci-gît un de ses textes.

Chapitre 1

PDV Florence Zaron

Je suis épuisée. Épuisée par la reproduction interminable de ces gestes qui me deviennent mécaniques. Épuisée par la jovialité que je m'efforce de renvoyer. Épuisée par le bruit incessant du scan des articles. Épuisée de l'hypocrisie que j'emploie à longueur de journée. Voilà à quoi se résume mon quotidien. Une Charlie Chaplin des Temps modernes, mais adepte des faux sourires et des fausses expressions enjouées. Je ne cesse de construire un personnage qui ne me ressemble pas. Ce supermarché me change. Un emploi minable. Une situation précaire. Que demander de plus ? La vie parfaite ! Avouez, le, vous la désirez, n'est ce pas ? Je soupire, atteinte par mon sarcasme. J'ai tenté d'apprécier les clients. J'ai tout utilisé pour faire perdurer ce soit disant lien entre nous. Mais c'est un échec. Il reste inexistant. Malgré mes plaintes, le travail est pour ma part indispensable. Il faut survivre, vaincre la crise. Faire fonctionner le commerce, quoi. Vous vous doutez bien, que passé la cinquantaine, la retraite est proche. Trouver un gagne-pain sans diplôme ne peut être envisagé, lorsqu'on n'est plus "comestible". Recycler les vieux n'est pas chose facile, et ma réinsertion professionnelle en est l'exemple même.

La dernière cliente règle ses achats et je reprends mon personnage.

- Merci, passez un bon week-end.

Je soupire, enfin ma journée se termine. Je quitte la caisse, heureuse, et je m'arrête comme tous les soirs dans la boulangerie voisine pour acheter ma baguette. L'accueil se fait avec gaieté. Pascal est toujours avenant, prêt à discuter. Friand de la proximité commerçant-client, ses occupations favorites se résument à écouter les potins des vieilles commères du quartier et rendre service.

- Bonsoir madame Zaron, comme d'habitude ?
- Oui, toujours fidèle à la baguette ! Merci et passez une bonne fin de journée.

Bien sûr, ça vous met de bonne humeur et vous passez une bonne soirée. Je décide de faire un détour par le parc et profite de l'instant présent. J'en ai besoin. Assise sur un banc, où mes pieds touchent à peine le sol, je songe aux deux prochains jours qui m'attendent, en compagnie de mon fils. Je dois subvenir seule à ses besoins, et aux miens, même si je m'occupe peu de moi. Mes cheveux sont grisonnants à la racine, et j'ai quelques rondeurs résultantes de la ménopause, mais je reste néanmoins naturelle. Mon fils vient juste de finir ses études et n'a jamais accepté l'absence de son père. Ah, encore un sujet difficile à aborder. Mon cher Alain, amant de ma courte jeunesse, nous a délaissé lorsque Paul est né. Je ne me suis pas démontée, je m'y attendais. Enfin je suis maintenant totalement disponible pour lui. Je veux qu'il réussisse et qu'il n'ait pas à subir ma situation.

De retour à l'appartement, je suis en compagnie de ma solitude, mais c'est le silence qui règne. Je m'étends sur mon vieux canapé, partiellement troué. Je dois me rendre à l'évidence, Paul n'est toujours pas rentré. J'allume ma vieille télévision et zappe. Le son et l'image de mauvaises qualités m'empêchent de me concentrer sur le quiz en direct. Les minutes passent, il n'est pas là. Même si je lui fais confiance, j'ai l'esprit protecteur, une vraie maman poule. Alors je pianote sur mon téléphone. Un vrombissement se fait entendre dans la pièce voisine. Je sursaute, surprise. Il était là, dans sa chambre, et n'était pas venu me voir. Tandis que je vois rouge, je toque à sa porte. Aucune réponse. J'entre et le vois étendu, de dos, sur son lit. Je comprends mieux son silence, il doit être fatigué par ses études. Un sourire niais s'affiche sur mes lèvres. Je l'examine furtivement. Mon petit bébé est devenu grand, mais le regard que je lui porte est toujours accompagné d'extrême douceur. Je fais le tour de son lit, et m'assieds timidement sur le bord pour voir son visage endormi. Il est bien pâle, il doit avoir froid. Je commence à le border, ses doigts me frôlent, étrangement crispés. Le plus étonnant, c'est qu'il a les yeux ouverts et immobiles. La réalité reprend le dessus sur ma béatitude.

La cave - niveau -3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant