PROLOGUE : INACHEVE
Allongée sur le dos, la jeune fille fixe l'espace. Oui, l'espace. Elle l'imagine, derrière la barrière bleutée du ciel, au-delà de l'aveuglant Soleil. Elle s'envole, elle se perd, une planète après l'autre, toujours plus loin, toujours plus vite. La voilà qui franchit les limites de notre système. Elle sent le noir et voit le froid. Hors d'elle et du temps, elle est l'univers lui-même, entité unique et indissociable de la Vie. Oui c'est ça, elle est la Vie.
Alors elle redescend, suit un fil invisible, rejoint le sol. Elle s'y enfonce doucement, continue sa course pour se fondre dans la roche. Elle sent le noir, et voit la chaleur qui l'enveloppe, qui l'étire. Elle est magma, elle est énergie.
La voilà qui jaillit sous l'océan froid et humide. Elle le sent, elle le voit. Elle est l'eau, elle est fluide.
La jeune fille émerge peu à peu, revient en elle, se recentre. Elle plonge au fond d'elle-même, atome, conscience, pensées. Tout s'entrechoque, tout se libère et elle explose en un millier de poussière d'étoile qui se dissipe dans l'air matinal.
Le petit garçon à côté d'elle ouvre de grands yeux surpris. Une paillette se dépose sur son nez, puis une autre sur sa main, et encore une autre, encore. Le voilà recouvert d'un fin voile doré qui étincelle et le soulève. Il flotte au-dessus du monde, il est le monde, en silence. Tout est noir, un doigt appuie doucement sur ses lèvres puis tout d'un coup une lumière au loin empli l'espace. Tout est étrange, tout est nouveau.
Quelque chose murmure à son oreille, quelque chose chantonne. Cette chose lui donne un nom et se nomme. Cette chose s'appelle Maman et lui s'appelle Alexandre.
Alors le bébé pleure. Parce qu'il n'est plus le monde, parce qu'on l'y arrache, parce qu'il a oublié. Il est Alexandre et le souvenir de la jeune fille s'efface déjà. Le souvenir de la caresse de l'ange sur ses lèvres lui échappe. Le souvenir de lui avant Alexandre n'est plus.
Et le bébé s'endort, fatigué de pleurer pour ce dont il ne se rappelle pas. Il sert la main de cette chose qu'on appelle Maman, premier être à sa venue au monde, première douceur dans sa douleur, premier réconfort dans sa peur.
Au-dessus d'eux, la jeune fille sourit et repart sans un bruit à sa mission éternelle. Elle ne se rend pas compte que l'ange n'a pas correctement marqué le nourrisson. Et elle ne sait pas qu'il continue son œuvre sur une autre âme.
ALEXANDRE
– Pourquoi le ciel, pourquoi la vie, pourquoi moi ? Pourquoi pourquoi ?!
Le bébé a grandi et Alexandre ouvre à présent des yeux émerveillés et curieux sur le monde qui l'entoure. L'enfant a oublié ce qu'il était mais le geste inachevé de l'ange l'a empli d'un vide qu'il ressent et peine à comprendre.
Il lui manque quelque chose, il en a conscience, mais ne parvient pas à en dessiner les contours et comme pour compenser l'absence de réponse à cette question en lui, Alexandre s'interroge sur tout.
– Et dis aussi Papa... Pourquoi Maman pleure ?
Étranges questions de la part d'un enfant... Mais Alexandre est différent : il voit.
Il voit sans doute trop de chose pour son âge et en ressent l'impact d'autant plus violement.
Voilà pourquoi Alexandre est un être difficile à cerner du haut de ses quatre ans. Voilà pourquoi il comprend plus qu'on ne voudrait bien l'admettre les grands drames et les petits bonheurs. Voilà pourquoi aucune larme n'a perlé à ses yeux lorsque celle qu'il appelait Maman s'est enfuie loin de celui qu'il appelait Papa.
Ce que tous ignoraient, c'est qu'au fond de son cœur il mourrait dans un sanglot déchirant.
Des personnes en robes et costumes ont décidé pour lui qu'il devait aussi partir et il est resté silencieux : les morts de parlent pas, ou très peu.
VOUS LISEZ
La cave - niveau -3
RandomIci, vous pourrez retrouver tous les anciens textes de la #Wacademy à partir du n°381. Les commentaires y seront aussi. Et du coup, vous pourrez trouver l'auteur et aller lire la suite de son œuvre, ou en découvrir d'autres...