Texte n°585

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                                                            PROLOGUE

Asile se mourrait.

Deux millénaires plus tôt, l'homme avait rêvé des étoiles. Il avait essaimé hors du berceau primitif, tentant de rebâtir ailleurs ce qu'il avait détruit sur sa terre d'origine. Un temps, il avait cru pouvoir terrasser ses vieux démons. Sur la nouvelle frontière des colonies spatiales, renaissance et prospérité semblaient à portée de main. Mais les mêmes causes avaient produit les mêmes effets. Les mêmes erreurs avaient engendré les mêmes désastres. La surexploitation des ressources, la recherche effrénée du profit, les inégalités sociales... Quelques siècles avaient suffi pour voir ressurgir les anciens fléaux.

Une fois encore, ce n'avait pas été le grand chaos nucléaire prédit par les auteurs de science-fiction. Plutôt une lente dégradation des valeurs de l'humanité, ponctuée de luttes fratricides et de corruption, un état de crise qui, insensiblement avait atteint un paroxysme irrémédiable.

Cinq siècles après la colonisation d'Asile, les vieilles lois cessèrent d'avoir cours et les derniers privilégiés succombèrent aux sirènes des extrémistes. Des dictateurs s'emparèrent du pouvoir et ne le lâchèrent plus. Comme ils l'avaient fait autrefois sur la Terre, au nom de la préservation de l'ordre, ils rejetèrent dans l'oubli plusieurs siècles de civilisation péniblement édifiée. Ceux qui les servaient ou leur étaient utiles conservèrent pour eux seuls le cœur des grandes cités. Ils protégèrent leur cocon de remparts de béton et d'acier et rétablirent un semblant de prospérité douteuse dont le fondement était l'exclusion du plus grand nombre. A la périphérie des Cités États survivait une population exsangue, pourrie de haine et de violence... La pauvreté, le chômage, l'insécurité avaient déclenché la révolte ; la famine, les épidémies, les mutations génétiques engendrées par la pollution et les dérèglements climatiques se chargèrent de la réprimer. Ceux qui s'étaient levés pour réclamer leur part du gâteau perdirent le peu qu'ils avaient et ceux qui n'avaient rien perdirent jusqu'à leur santé. L'élite, soigneusement protégée et isolée derrière ses murs, réclamait à grand cri qu'on rompe tout contact avec l'humanité au rebut qui vivait à ses portes.

Ainsi en était-il de la plupart des mégapoles d'Asile. Ainsi en était-il d'Eklonn, ancien joyau de culture et de rayonnement, qui désormais n'éclairait plus qu'elle même, plus fortifiée qu'une cité médiévale derrière ses douves, ses remparts et ses créneaux. La survie problématique de milliers d'individus se diluait dans l'oubli. Au-delà du Mur, c'était les Franges, territoire délibérément abandonné où ne s'aventuraient plus que quelques mercenaires aux tarifs exorbitants.

                                               1- MESSAGE (partie 1)

TOUR METEOR

543 AC. / 6e mois / 12e jour

4h du matin

Les tours étaient toujours là. Elles se dressaient, sentinelles d'un passé révolu, à la lisière de l'ancienne voie périphérique dans le nord-est d'Eklonn. Leur pied se perdait dans l'obscurité dense qui s'étendait au-delà du Mur, tel les racines d'un arbre mort émergeant du cloaque d'un marécage. Le halo lumineux qui irradiait de la cité parvenait à peine à allumer quelques reflets sur les carénages de verre des étages les plus élevés.

Gabriel Dévereau appréciait cet endroit. Depuis longtemps, l'accès en était interdit. Comme tout le no man's land qui encerclait la ville sur plusieurs kilomètres, il restait sous surveillance, mais la vigilance des gardes s'émoussait au fil du temps. Les vigies comptaient trop sur les drones et les systèmes de veille électronique, systèmes qu'avec un peu d'habileté, il était facile de contourner. Dans le dédale de couloirs et de bureaux qui avait jadis hébergé une intense activité économique, le mercenaire s'était aménagé un repère sécurisé. Il pouvait en un instant se fondre dans le silence profond des corridors déserts. Apparaître et disparaître tel un fantôme de glace constituaient certains des innombrables talents dont il faisait commerce...

La cave - niveau -3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant