Texte n°538

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Chapitre 1

Ne jamais descendre !

Si nous avions tout un tas de règles, celle-ci était la plus importante. La seule que j'entendais chaque jour. Plusieurs fois par jour, devrais-je dire.

— C'est très dangereux en bas ! répétait Saliana, notre éducatrice. Pourquoi croyez-vous que les gardiens se donnent tant de mal à nous garder ici ?

À la vérité, aucun de nous ne le savait, mais personne n'avait jamais osé lui demander. Enfin, si. Une fois, j'avais demandé.

— Pourquoi ?

Le reste des enfants m'avait regardée avec des yeux admiratifs. Enfin nous allions savoir. Enfin, l'un d'entre nous levait la main et posait cette question qui brûlait les lèvres de chacun. La déception fut à la hauteur de nos espérances :

— Pour vous protéger ! Voyons, Célia, avait-elle répliqué.

— Mais de quoi ? avais-je alors insisté.

Mon ton avait peut-être été un tantinet trop familier, ou trop insistant, difficile à dire. Saliana me dévisagea un instant, une mèche brune se calant pile dans la ride verticale de son front. Lorsqu'elle vous regardait comme ça, c'était mauvais signe et, comme un réflexe conditionné, toute l'assemblée rentra la tête dans les épaules. Mais je voulais ma réponse, alors j'attendis qu'elle me la donne en soutenant son regard acariâtre.

— De tout ! Et maintenant, reprenons...

Le sujet qu'elle choisit d'aborder ensuite ne m'a pas marquée. Ce fut la seule et unique fois où le sujet fut abordé sans ambages. J'avais à peine une dizaine d'années et je vivais encore chez Vernor. Depuis, le temps était passé et aucun de nous n'avait pu en apprendre plus sur ces dangers incroyables qui nous menaçaient. Nous avons cependant eu plusieurs confirmations de l'importance de respecter la règle. Certains adultes, surtout parmi les gardiens, disparurent en bas sans jamais refaire surface.

Lorsque je demandai à ma mère, la folle de la tribu, je n'avais guère plus de réponse. La vérité était qu'elle ne savait pas plus que moi ce qu'il y avait en bas. Elle avait déjà tant de mal à se souvenir de qui elle était...

On l'appelait parfois la folle de la tribu, mais elle ne l'était pas tout à fait. Disons surtout qu'elle était parfois difficile à comprendre. Gardos, notre chef, m'avait raconté qu'on nous avait retrouvées un jour, accrochée au tronc d'un arbre, à la périphérie de notre territoire. Elle était inconsciente et moi, je gazouillais. Personne ne savait d'où nous venions.

Elle non plus.

Sa mémoire était, pour le moins, défaillante. Parfois, elle se souvenait d'une bribe d'événement. La plupart du temps, cela n'avait aucun sens et c'est ainsi que ce surnom ridicule lui avait été donné.

Étant sa fille, j'avais moi-même hérité d'un sobriquet. Moins affligeant cependant : la bleue. Il se trouve que j'aimais bien qu'on m'appelle ainsi. Cela soulignait ma différence. J'étais fière de mes yeux azur, après tout. Fière de n'être pas tout à fait comme tout le monde. Tous ici, étaient tellement conditionnés. Il n'y avait aucune curiosité pour le monde extérieur, pour ce qu'il pouvait y avoir au-delà des limites de notre territoire. Ou en bas...

Je n'avais aucun souvenir d'autre chose que notre tribu. Je n'avais qu'un an, à quelque chose près, lorsque nous avons été découvertes. Mais je venais d'ailleurs. Je n'étais pas des leurs ! Et un jour, je partirai à l'aventure. D'ici très peu de temps, pensai-je en comptant les quelques jours qui me séparaient encore de mes dix-sept ans. À peu près. Le problème d'une mère amnésique est que ma date d'anniversaire n'est qu'une approximation. Mais je m'en satisfais.

La cave - niveau -3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant