Dans l'alphabet, il y a des lettres plus ou moins gentille, ou agressives. Il y a celles qui ne correspondent à rien, et il y a celles qui représentent bien les gens.
Ma lettre à moi, c'est le D.
D comme désespoir
D comme dégénérescence
D comme démyélination
D comme destin
D comme DamienMoi, Damien, 8 ans bientôt trois quart. Et oui, je fais partie de ce genre de gens qui comptent chaque jour, chaque heure de leur vie.
Parce que si ça se trouve demain je serais mort. Bah ouais, c'est la vie...
Moi la vie elle m'énerve.
En même temps elle m'a pas gâtée. Je veux dire, oui j'ai des supers parents et des supers jouets, mais j'aurais préféré avoir une super grande vie.
Enfin, c'est pas vraiment à moi de décider.
Aujourd'hui on va à l'hôpital, mon papa, ma maman et moi. En vrai c'est pas mes vrais parents, mais je fais semblant, ça a l'air de leur plaire.
Mes parents à moi, je les connais pas. Il paraît que mon papa, le vrai, il avait la même maladie que moi.Ça fait bizarre du coup, parce que quand je rentre dans la salle d'attente, je peux pas m'empêcher de jeter un œil sur les hommes en fauteuil roulant. Qui sait, mon papa est peut-être parmi eux !
Alors je cherche du regard qui pourrait avoir ma touffe brune et impossible à coiffer et mes yeux noisette. Le problème c'est que quasiment tout le monde correspond à cette description.La plupart du temps, je finis même par m'endormir en attendant mon tour. Depuis le début de la maladie, on va à l'hôpital tous les mardis. Ça fait maintenant 218 mardi. Je le sais, j'ai compté depuis le début. Et chaque mardi, quand je rentre à la maison, je prends un caillou dans le pot à caillou et je le peins de la couleur de la visite.
Rouge, c'est que c'était normal.
Noir, c'est qu'il y a une mauvaise nouvelle.
Blanc, une bonne nouvelle.
Bleu, j'ai loupé la visite.
Vert, un nouveau docteur.
Rose, j'ai rencontré un copain.
Jaune, ça veut rien dire du tout. C'est pour les jours où j'ai besoin d'une autre couleur.Parfois les cailloux ont plusieurs couleurs. Je m'en fiche un peu, c'est joli je trouve.
C'est moi qui ai trouvé l'idée. Enfin non, c'était la maîtresse de moyenne section, mais elle saura jamais que je lui ai piqué l'idée donc au pire...Quoique, si elle vient à mon enterrement, elle saura ! Mince !
Parce que quand je serais enterré, mes parents ont promis qu'ils mettront tous mes mardis sur ma tombe. Ça va être beau !C'est dommage, je ne pourrais pas le voir. En fait je ne sais pas si je pourrais ou pas, ça dépend de Après.
Après, avec les copains, c'est un peu notre ami. Parce que on parle tout le temps de lui à l'hôpital. Souvent les adultes ils l'utilisent avec tout plein de points de suspension. Le truc, c'est que les copains et moi, on a compris leur code secret ! « Après... » ça veut dire quand on sera mort !
Je peux vous dire qu'on était drôlement fier d'avoir compris. Les copains, c'est Adrien et Aurélien. Ils sont frères. Et il y a aussi Yassim, mais lui c'est pas pareil. Lui il est pas comme nous.
C'est surtout que il a pas de bolide lui. Moi j'en ai un. Un petit bolide en aluminium. Avant je l'aimais pas. Mais ça c'était Avant.
Avant, c'est comme Après. C'est un mot codé. Ça veut dire : quand la vie était normale. Avant, pour moi, c'était il y a quatre ans. Il y a 218 mardis exactement.
Je me souviens bien comment ça a commencé.
Quand je me suis réveillé, j'étais pas bien du tout. Mais vraiment pas du tout. En fait, c'était comme ça depuis quelques jours, mais là c'était vraiment le pire du pire. J'ai pas réussi à bouger mon bras. Bon, j'ai un peu paniqué, et j'ai hurlé tellement fort que le voisin a du m'entendre aussi.
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La cave - niveau -3
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