Texte n°564

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_ Ana ? Tu crois que les huîtres peuvent réfléchir ?

Allongée sur ma serviette, les yeux couverts par mon t-shirt, je m'ennuyais ferme. Ça faisait très exactement cinq heures qu'on était allongées sur nos serviettes à griller au soleil, et j'avais la très vague impression de devenir aussi rouge qu'un homard. En plus, je commençais à trouver le temps long.

_ Non.

Anaëlle se retourna sur le dos. Elle s'étira lentement avant de bailler. Le bruit d'un claquement sonore suivi d'un "Aïe !" m'a révélé qu'elle avait encore cassé un de ses instruments de torture. J'ai nommé... l'élastique dentaire. Le silence s'est réinstallé, uniquement perturbé par le remous des vagues et le cri des mouettes. J'ai poussé un soupir en me demandant si je pouvais un jour prouver que l'huître était un aliment totalement indigeste et répugnant qu'on ne devait plus jamais retrouver dans son assiette. Même à Noël.

J'avais encore le goût infâme de l'iode dans la gorge.

_ Je vais créer un mouvement anti-huître dès que je serai candidate aux élections présidentielles., ai-je marmonné.

Anaëlle a pouffé.

_ Je crois que tu atteins la limite du rêve, là. Si tu déteste autant les huîtres, pourquoi tu ne le dis juste pas à ma mère ?

J'ai essayé de répondre mais un haut-le-cœur m'a saisi les côtes et j'ai immédiatement refermé la bouche. J'ai attendu que le malaise passe.

_ Je me demande comment quelqu'un a eu l'idée de bouffer un truc qui ressemble physiquement à de la morve., ai-je finalement ajouté, dix minutes plus tard.

Ana a haussé les épaules.

_ Je ne sais pas. Il devait être soûl ou un truc du genre. Ça pourrait être drôle de le découvrir. N'empêche, tu savais que quelqu'un avait écrit un poème sur l'ouverture d'une huître ?

_ Ah ? ai-je fait en tournant la tête vers ma meilleure amie. C'était qui ?

_ Je crois qu'il s'appelait Ponge. Francis Ponge.

_ Et moi, je pense qu'il s'appelait Bond. James Bond.

Ana a levé les yeux au ciel.

_ T'es vraiment nulle.

Le blanc s'est réinstallé.

_ Dommage qu'il ne se soit pas appelé Bob. Ça aurait pu être drôle. Bob Ponge qui écrit des poèmes sur les fruits de mer.

_ Tais-toi.

Le silence s'est prolongé. J'avais oublié que je détestais bronzer. Retourner sur cette plage me rappelait des souvenirs d'ennui mortel. Je crois que ça n'a pas changé en trois ans. Une mouette a hurlé un peu plus haut dans le ciel. Le vent continuait de souffler, l'odeur du sel me prenait les narines et j'avais encore mal au cœur, même si le déjeuner remontait à trois heures.

_ Je me demande comment quelqu'un a pu avoir l'idée de faire un poème sur les huîtres. Il devait cruellement manquer d'inspiration. Si ça continue, il y en aura bientôt un sur François Hollande.

_ Tu dis ça, mais j'avais lu ce poème, une fois, pour une disserte. Et franchement, je le trouve vraiment magnifique. Il pose des questions tellement intéressantes ! C'est là que tu te dis que même les objets les plus simples peuvent être des métaphores d'un sens quelconque de la vie.

Je me suis renfrognée. J'avais vraiment l'impression d'être une littéraire ratée. Là où je n'avais aucune culture générale, Ana pouvait me faire des dissertations philosophiques sur tout et n'importe quoi. Elle avait été prise dans une FAC de lettres au début des vacances d'été, donc ça pouvait se comprendre.

La cave - niveau -3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant