La cave - niveau -3

Texte n°551

10 Juin 1993

Lèsville, Haute-Normandie

Ses mains moites glissant sur le volant, Guy Vasseur quitte le centre-ville et fonce en direction de son domicile. Il roule vite, peut-être même trop vite. Il quitte la route des yeux un instant pour vérifier que les documents sont bien là avec lui, bien rangés dans cette pochette verte.

Il va réellement le faire. Il va enfin quitter Bertille. Cela fait plus d'une semaine que sa décision est prise. Partagé entre l'appréhension et l'excitation, il se surprend à sourire, envahi par ce sentiment de liberté qui commence déjà à le gagner. S'il est resté jusqu'ici, c'était uniquement pour son fils. Alexandre, sa petite merveille, trois ans, aujourd'hui même. Ce gamin fait sa fierté. Si jeune et déjà si futé.

Pris par ses pensées, il ne remarque qu'au dernier moment que le feu est rouge. Appuyant de toutes ses forces sur la pédale de frein, il réussit à arrêter sa petite Clio 1 de justesse, tandis qu'un camion déboule devant lui en klaxonnant bruyamment. Le chauffeur ralentit et lui crie des insultes en gesticulant, mais Guy l'entend à peine, il se contente de lever la main en signe d'excuses. Le camionneur redémarre et part en lui lançant un regard noir, non sans lâcher quelques grossièretés supplémentaires. Guy a eu chaud et se sent encore tout étourdi. Il respire profondément afin de retrouver son calme. Relevant le menton, il aperçoit dans le rétroviseur, quelques gouttes de sueur perler sur son front et, c'est peut-être dans son imagination, mais il jurerait que ses cheveux noirs se sont dressés sur sa tête. Une autre voiture s'arrête au feu, juste à côté de lui et il peut sentir le regard de son conducteur le dévisager.

— Tout va bien Guy ? lui demande ce dernier.

Tournant la tête, il reconnaît Henri Regnier, un de ses voisins. Retirant ses mains tremblantes et humides du volant, il les frotte vigoureusement sur son jean usé, avant de répondre.

— Oui... oui, ça va, j'avais la tête ailleurs.

— Reprends-toi mon vieux, parce que c'était limite là.

Alors qu'il allait répondre, Guy distingue un mouvement à l'arrière de la voiture d'Henri et, tournant le regard, il remarque la présence de la fille aînée de celui-ci.

— Oh, bredouille-t-il. Bonjour Agathe, tu vas bien ?

Pour toutes réponses, l'adolescente de quatorze ans se contente d'étirer brièvement ses lèvres en un rictus et de hocher la tête.

— Vous allez où, de si bon matin ? reprend Guy, un peu gêné.

— J'emmène Agathe chez ma sœur à Paris. Elle l'a invité pour l'été et il se pourrait même qu'elle puisse lui trouver une place dans le collège international où elle travaille. Ce serait une très bonne expérience pour elle et surtout, ça l'éloignerait de toute cette histoire un moment.

Guy croise le regard fuyant et honteux d'Agathe, qui s'empresse de mettre le casque de son baladeur sur sa tête.

— C'est vert, on peut y aller là ? grogne-t-elle à son père.

— Oui, confirme Henri en passant la première. Bonne journée Guy.

— J'espère qu'elle le sera. Bonne route à vous, et bonnes vacances Agathe.

Les Regnier s'en vont. Guy regarde la voiture s'éloigner, lorsqu'un klaxon le fait sursauter. Une automobiliste s'impatiente derrière lui.

— C'est bon, j'y vais !

Une poignée de minutes plus tard, le voilà devant chez lui. Il récupère la pochette sur le siège passager et sort de la voiture. Avant de rentrer, il salue sa voisine d'à côté qui s'affaire dans son jardin. Sa femme n'est pas encore là, il s'installe à la table de la cuisine et attend nerveusement. Il s'en veut un peu de devoir faire ça le jour de l'anniversaire du petit, mais il ne peut plus attendre un jour de plus. Un regard à sa montre, 10h13. Bertille ne devrait pas tarder, se dit-il. Guy pose la main sur la pochette verte cartonnée, contenant les papiers du divorce qu'il compte lui remettre dès l'instant où elle passera la porte.