Le Chant du Couchant XXXI

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La tension au sein du petit groupe était si intense qu'il devenait évident que le point de rupture était proche. Rehyan, qui gardait ses affaires faites et son fenrir sellé en toute circonstance, ne quittait plus un instant le chevet de Naïa, dont les forces s'amenuisaient de plus en plus. Elle la gardait étendue le plus possible, sous la douce lueur des lianes luminescentes, espérant au moins que leur lumière, bien qu'insuffisante, permette de reculer l'inéluctable. Lefko et Dol'taïm, elles, passaient leur temps auprès de Kiine, tentant par tous les moyens de lui faire recouvrer au plus vites ses capacités mantratiques dans l'espoir qu'elles lui permettent enfin de trouver le chemin qui les guiderait vers l'Okron. Leurs seules autres indications étaient celles d'un royaume au bout du monde, et d'un lac. Se pouvait-il que la Relique se trouve de l'autre côté des montagnes? Ou bien le royaume en question était-il celui des créatures cuirassées qui les avaient accueillies? Quoi qu'il en soit, plus le temps passait, plus il était difficile pour le petit groupe de continuer ainsi. Lefko et Dol'taïm, malgré leur insistance à continuer, était terriblement inquiètes pour Naïa, et frustrées de ne pas savoir de quelle manière l'aider. Kiine, quant à elle, était mutique. Lefko craignait que son esprit ne soit de nouveau entièrement préoccupé par le souvenir de Yuriana. Elle craignait qu'elle ne désire faire demi tour également pour tenter de la retrouver à Lenkaro, puisque c'était là qu'elle était persuadée de l'avoir entraperçue. Les silences de l'opaline devenaient de plus en plus intenables, et pourtant elle savait qu'en révéler le moindre serait probablement signer la dislocation définitive de leur expédition. 

Kiine marchait de nouveau correctement, cependant, mais son esprit avait encore du mal à se concentrer. Son mantra était instable, ses vibrations chaotiques, tout comme ses humeurs qui s'y accordaient. Elles avaient toutes reprit des forces chez les cuirassés, à l'exception de Naïa, et un seul signe de la part de Kiine leur aurait suffit. Un seul indice, une seule indication signifiant qu'elle avait la moindre idée de la direction dans laquelle elles devaient aller. Elles auraient adoré demander à leurs hôtes, mais la communication avec eux était tout simplement impossible. Que ce soit par les paroles, par les signes, ou même à l'écrit, ces humanoïdes de l'inframonde étaient tout simplement trop éloignés de tout ce qui pouvait vivre à la surface pour que la moindre cohérence culturelle leur permette une discussion. Les symboles qu'ils gravaient n'avaient aucun sens pour les jeunes femmes, et celles qu'elles tentaient de leur faire comprendre semblaient avoir le même effet sur eux. C'était une discussion de sourds, et pourtant, les dieux savaient qu'ils étaient les mieux placés pour connaître quoi que ce soit à propos de ces mondes souterrains, et de la position potentielle d'une quelconque Relique dans les environs. 

Bien évidemment, la situation ne pouvait être tenable sur le long terme, d'autant que le passage du temps était totalement impossible à suivre dans cet univers sans soleil. Depuis combien de temps au juste restaient-elles ici, passives, à profiter de l'hospitalité de leurs hôtes? Des jours? Des semaines? C'était impossible à savoir, et rendait encore plus difficile l'acceptation de leur situation. Tout était prêt à imploser, d'un instant à l'autre. Rehyan pouvait décider de partir, Kiine pouvait décider de retourner à Lenkaro, tout semblait si fragile, comme un fil de soie prêt à se briser. Mais le fil de soie n'eut pas le temps d'en faire autant. Car, depuis l'ombre, observaient en silence l'ennemi, tapis, attendant patiemment son heure, et parfaitement conscient de l'ambiance délétère au sein de la troupe.

Lefko avait prit l'habitude de s'éloigner un peu dans les boyaux à proximité du village des cuirassés, pour tenter de se détendre et de reprendre son calme. Elle n'allait jamais bien loin, bien évidemment, elle avait bien trop peur de ce qu'elle aurait pu trouver d'autre dans cet immenses réseau où il aurait été si aisé de se perdre. Néanmoins, elle appréciait ces courts moment de solitude et de tranquillité apaisée, et comprenait soudain beaucoup mieux les besoins impérieux de sa compagne, Dol'taïm, de disparaitre de temps à autres, quand la proximité d'autres êtres sentients devenait trop lourde à porter. 

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant