Le Chant du Couchant XXXIV

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Un silence mortel s'était abattu sur la petite troupe, ou, du moins, ce qu'il en restait. Personne ne voulait être la première à évoquer ce qui venait de se passer. Cela aurait naturellement mené à des blâmes, à des regrets, sûrement à des disputes. Hors, seule la fatigue, la lassitude et la tristesse habitaient désormais les corps de Lefko, Dol'taïm, et Kiine. Cette dernière restait définitivement concentrée sur son objectif, ayant visiblement déjà enfoui les souvenirs des évènements récents au fond de son esprit. Dol'taïm était aussi mutique qu'à l'accoutumée, mais son visage d'ordinaire si détaché s'ornait à intervalle régulier d'une expression inquiète, alors qu'elle jetait des coups d'oeil furtifs à sa compagne. Lefko, elle, semblait réduite à néant. Voutée sur sa selle, les yeux dans le vague, les mains et les lèvres tremblantes, elle ressassait encore et encore les mots durs de Rehyan, et le rejet de la rousse. Elle les avait rejetées, elles, sa famille, celles avec qui elle avait passé plus de dix ans à survivre à Brocéliande, celles avec qui elles étaient parvenues à suivre l'esclavage, celles qui avaient juré de la sauver de la malédiction des fleurs, qui aurait dû venir prendre son âme à son âge, mais qui avait bien été vaincue par les mystérieux rituels de Freya. 

Rehyan n'avait jamais été quelqu'un de facile à vivre, et cela, chacune des survivantes de Brocéliande en était consciente. Elle était égocentrique, tête brûlée, orgueilleuse, mais elle était également la première à se jeter dans la mêlée pour protéger sa famille recomposée, sans même prendre en compte les risques qu'elle encourait elle même. Alors la voir rejeter aussi violemment cette même famille pour laquelle elle s'était tant battue... c'était une douleur insupportable pour l'opaline. 

Lefko en venait à tout remettre en question. Pourquoi avoir fui Brocéliande, finalement? Pourquoi s'être lancées dans cette quête à l'Okron? Tout ce qu'elle avait jamais désiré, c'était de pouvoir enfin se retirer en paix, dans un recoin d'Alodya avec sa petite famille, et ne plus jamais avoir à craindre quoi que ce soit des créatures de la nuit et démons de la bibliothèque. Mais à quoi bon, si toute la famille qui lui restait était Dol'taïm? Elle qui avait été toujours considérée de facto comme la cheffe de leur petit groupe pour son caractère calme et décisionnaire, comment avait-elle pu le laisser se déliter ainsi? Elle avait été incapable d'empêcher la mort de Viyanah, à Brocéliande. La malédiction des fleurs l'avait rattrapée avant que Freya ne puisse la sauver. Mais Lefko n'avait jamais douté qu'elle serait parvenue à protéger toutes les autres... jusqu'à ce jour là. Peut être aurait-elle dû laisser Naïa à la surface? Mais pour la livrer aux révolutionnaires ou au troupes de la Clanique? Elle n'aurait pas été en sécurité. Alors, quoi, aurait elle du la laisser à Yurena ou à la tribu de Kynareth, avec la famille de Kiine? Mais pourquoi l'aurait elle mise à part, au moment de partir? Et comment se serait déroulé ce voyage empli de tension, sans la douceur maternelle et caractéristique de la nymphe? Fut-elle restée en Taïga d'Odin que Dol'taïm serait probablement morte lors de l'attaque que les deux femmes avaient subi, dans les rues de Lenkaro. Naïa avait pu soigner leurs esprits autant que leurs corps, et elle était un membre à part entière de leur expédition. Alors quoi, qu'aurait dû faire Lefko? N'y avait-il aucune solution? Aucun choix qui aurait pu faire changer les choses? Aucune option dans laquelle Naïa était en pleine santé, et Rehyan n'avait pas disparu avec elle pour ne probablement jamais être retrouvée? 

C'était dur, si dur à accepter. Mais la seule solution était celle qu'elles avaient décidé de suivre, celle-là même qui avait poussé Rehyan à rompre le fil. La vérité, c'est que la seule possibilité qu'elles avaient eue de toutes pouvoir revenir ensemble, était de continuer, de pousser au maximum, et d'amener Naïa à l'Okron. Peu importait le prix qu'aurait demandé la Relique pour la soigner, Lefko aurait été plus que prête à en payer le prix, tout comme Kiine était prête à le faire pour ramener Yuriana à ses côtés. Alors, pourquoi? Pourquoi Rehyan était-elle si butée, si insolente, si stupide pour s'imaginer que repartir dans l'autre sens aurait fait quoi que ce soit pour sauver Naïa? Comment avait-elle pu être assez orgueilleuse pour croire que seule, elle pouvait faire ce qui était déjà si tendu à réaliser toute ensemble? Comment pouvait-elle choisir de faire passer sa propre colère avant la raison et la logique qui permettaient de sauver la nymphe?

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant