Le Destin du Kesjare XX

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-Tu es sûre que tu peux marcher?

-Bien sûr, Yu! Je ne suis pas une enfant.

-Non, mais tu es une grande blessée, et je me demande à chaque instant un peu plus si tout ça est une bonne idée.

-C'est toi qui me l'a proposé, tu ne peux t'en prendre qu'à toi. Répondit Kiine avec un sourire effronté. Et puis on a bien chevauché jusqu'ici, alors je ne vais pas m'écrouler maintenant!

Malgré les bandages enserrant son torse, la jeune femme marchait d'un pas assuré, trahi cependant par ses multiples grimaces. En deux semaines, ses plaies s'étaient partiellement résorbées - mais étaient bien loin d'être soignées. Pourtant, Yuriana, ne résistant pas à l'idée d'une sortie avec son amante, lui avait parlé du banquet d'Honolas... et n'était plus aussi sûre de sa décision, notamment quand Kiine avait annoncé s'être éclipsée à l'insu de ses médecins, qui lui avaient interdit sa sortie.

-Quand je serai guérie, il faudra repartir... avait-elle gémi. Je ne peux pas rater ça!

La guerrière aux cheveux blancs serra Nikaia dans ses bras lorsqu'elle descendit d'Annsvir, sa fidèle Fenrir. La servante avait pris grand soin de l'animal pendant la convalescence de sa maîtresse, et venait de soutenir Kiine pendant toute la chevauchée depuis les portes de Pont Majeur jusqu'à la villa du politicien, sous les rayons du soleil descendant, tout comme la guerrière l'avait fait pour elle lors de leur longue poursuite depuis Mines-sous-Pont. Elle avait également tenu à préparer ses deux compagnes pour une telle réception, refusant net de les voir y débarquer vêtue de leurs surcots où de leurs tuniques sobres si propres aux Nordiques. C'est ainsi que les deux jeunes femmes s'étaient retrouvée tout aussi maquillée de Khôl que lors de leur visite chez le Polémarque. Vêtues d'une robe noire pour Kiine et d'une blanche pour Yuriana, leur duo était ainsi indissociable, et leur beauté rehaussé par leur coiffure: un chignon savant pour Kiine, une magnifique tresse pour Yuriana, ornée d'un cerceau doré offert par l'un de ses amis lutteur dans l'espoir de gagner ses faveurs - un détail que la Guerrière d'Hel gardait secret, bien évidemment.

La demeure d'Honolas était immense, les jeunes femmes, rejointes par Mundvir, regardaient, atterrées, les hauts murs de pierre blanche dans une tradition purement Pontoise, recouverts de belle tuiles d'un rouge vif. Le jardin était taillé et entretenu avec une perception mathématique, et les ombres des arbres dessinaient des formes géométriques complexes sous la lumière du soleil couchant. La plupart étaient inconnus de Kiines; elle revit les étranges fruits oranges et rond comme des ballons qu'elle avait remarqué chez le Polémarque à Mines-sous-Pont, ainsi que d'autres semblables, jaunes, à la forme légèrement arrondies aux bords, que Yuriana lui présenta comme des « citrons ». Des immenses palmiers recouvraient de leur longues feuilles le ciel nocturne, et l'odeur d'herbes aromatiques était étouffante et enivrante. En contrebas de la route, le doux ressac des vagues contre la rive attirait naturellement le regard vers la plage et l'étendue infinie de l'eau rougie par les rayons disparaissant.

-Sacrée longère. Plaisanta Kiine en estimant la taille du domaine à son simple mur extérieur. Ça peut quand même pas être plus grand que la Tribu de Kynareth, nan?

-N'en sois pas si sûre, Dragonicide. Rit doucement Mundvir. Les riches de ce pays ont la folie des grandeur! Mais ils connaissent aussi l'instabilité et les guerres entre cité... ce genre de demeure sont de vrais petits forts, bien que cette mode ait tendance à tomber depuis l'occupation de l'empire.

-Tu m'expliquera tout de même en quoi un tel espace est nécéssaire pour manger et dormir. Grogna Yuriana.

-Ce sont des concepts culturels qu'il nous faut accepter. Commenta le vieux guerrier. Ici, la réussite est avant tout celle politique et monétaire. Il est important de la montrer, et pour cela, on achète des choses très chères. C'est ainsi. Mais ne nous plaignons pas: sans cela, nous n'aurions pas la possibilité de déguster des mets aussi rares et délicats.

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant