Le Destin du Kesjare XIX

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Yuriana étira longuement son corps épuisé. En effet, elle s'était levée aux aurores pour aller courir dans les rues de Pont Majeur, où seuls les paysans et les pécheurs se promenaient déjà. La guerrière longea le port d'Enomaque, donnant sur le golfe du Pont, en petite foulée sous les regards intrigués ou appréciateurs des habitants. Puis, arrivée près de l'Arche Blanche au nord, elle remonta dans les petites rues sillonnant la colline, slalomant entre ânes, chevaux et charrettes avec agilité. Enfin, arrivée au sommet, elle contempla longuement le spectacle de la ville blanche, s'étendant le long de l'Estuaire de la Neva face à elle en une série de petites îles, pont, canaux et maisons blanches. La Guerrière d'Hel continua sa remise en forme pendant un certain temps, et termina sa course, épuisée, à la presqu'île de Sappho, au sud, là où depuis quelques jours déjà, elle retrouvait un petit groupes de jeunes athlètes Pontois qui s'entrainaient à la lutte ou à la course dans le long parc sacré. En effet, Yuriana devait tuer le temps; Kiine, toujours alitée, passait plus de temps à se plaindre de son immobilisme qu'à faire la conversation à son amante, et la compagnie du guerrisseur, Méphiltès, n'avait rien de bien plaisant. Bien que cultivé, et partageant un humour sarcastique qui plaisait bien à Yuriana, le vieil homme était un érudit, et rien d'autre que cela; il ne pouvait permettre à la jeune femme de libérer son trop plein d'énergie, et sa soif de défi et de combats - d'autant que les regards aguicheurs des deux apprentis du médecin avaient tendance à courroucer la guerrière, au point qu'elle alla demander au vieil homme de leur interdire l'accès à la chambre de Kiine dans le petit hôpital qu'il tenait.

Les jeunes Pontois, eux, étaient plein d'énergie, er ravis d'en découdre avec l'une de ces guerrières Nordiques qui enflammaient les imaginations de ces hommes et femmes pour qui la cultivation de la beauté et du corps était élevée au rang d'art. Chacune de ses victoires était acclamée, chacune de ses défaites dans le sable de la presqu'île amusait ses nouveaux compagnons, qui l'aidaient toujours à se relever. Il y avait bien peu de femmes, à la pratique des sports de combat, remarqua tout de même Yuriana. Celles d'ici semblaient préférer cultiver leur apparence par d'autres moyens que la force brute, et cela semblait être un choix étrange à la jeune Nordique, bien que courant dans les cultures du sud. Elle faisait donc face, la plupart du temps, à des hommes plus versés dans l'art du combat à main nue que dans celui de la guerre, comme elle, et elle fut donc surprise du nombre important de défaites qu'elle subit. Elle était musclée, oui, mais savait garder assez de place pour l'agilité et la vitesse, et face à ces montagnes de muscles, il n'était pas toujours facile de faire le poids. Nus, dans le sable et la poussière, les corps s'entrechoquaient frontalement, et le combat était souvent une guerre d'usure et de fatigue, seul moyen qu'avait souvent Yuriana de vaincre ses adversaires. Rapidement, cependant, elle saisit les mécaniques courantes du sport, parvint à augmenter son taux de victoire, et gagna ainsi une place dans le cercle de ces jeunes idéalistes, dont nombre ne cachaient pas leur attirance pour la jeune femme.

Yuriana était déjà venue dans des cités du Pont, celles lointaines, au sud de la Taiga d'Hel, des territoires plus escarpés qu'ici, mais elle était toujours étonnée du peu de pudeur des Pontois. Que ce soit au niveau physique ou mental, c'étaient des gens bien plus ouverts que ne le seraient jamais les Nordiques, qui ne montraient jamais leur corps en public, et n'évoquaient pas avec autant de liberté leur pratiques sexuelles, ou même leur attirance mutuelle - la complexe découverte de ses sentiments pour Kiine en avait été une preuve. L'amour était une affaire privée, chez les Nordiques, raison pour laquelle l'idée de l'officialiser via un mariage leur était impensable. Mais ici, au Pont, les hommes venaient lui faire la cours ou lui avouer leur attirance sans le moindre filtre, et elle se retrouvait souvent atterrée par de telles pratiques, rejetant ces tentatives d'approche avec virulence au départ. Elle comprit rapidement son erreur, lorsqu'elle vit que son inaccessibilité, si différente de la facilité avec laquelle les femmes répondaient habituellement, faisait d'elle un objet de fascination et de convoitise d'autant plus fort. Elle fut tentée de clamer haut et fort son amour pour sa compagne, mais sa pudeur Nordique naturelle rendait la chose difficile - bien qu'en ces lieux, aimer une personne du même genre n'eut rien de bien étrange. Le culte Saphiste lui même reposait en grande partie sur la liaison mythique entre une femme Pontoise, Sappho, et la Grande Créatrice si adorée aux Mines comme au Pont.

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant