Numinomachie XVIII

274 25 3
                                    

La pleine lune éclairait de mille feux la grande plaine. Endormie, bercée par le doux vent provenant des régions chaudes du sud, la cité de Mines-sous-pont reposait calmement sous les étoiles indolentes, inconsciente des évènements qui se tramaient au coeur de la forêt toute proche. Pendant la nuit uniquement, riches et pauvres se mêlaient dans les auberges et les salles communes, ripaillaient jusqu'à ne plus pouvoir tenir debout et allaient tripoter de leur doigts encore gras les seins rebondis des filles de joie. Les enfants dormaient paisiblement, certains ayant le ventre moins vide que d'autres, tandis que le bruit des banquets tenus par les riches marchands et hommes politique faisaient résonner leur musique et leur rire dans les rues éteintes de la cité. Au bord de la rivière Réva traversant la cité, de sombres affaires avaient lieu; des marchandises interdites transitaient, des femmes étaient accostées, des hommes disparaissaient à jamais dans les flots froids et sales, charriant l'odeur acre des tanneries en amont. C'était une nuit banale à Mines-sous-pont, où les Erudits s'enfermaient pour concocter de nouvelles théories sur lesquelles ils ne parviendraient pas à se mettre d'accord, où les hoplites en faction sur les hauts murs somnolaient, et où, comme tous les soirs, une partie du bas peuple s'endormi pour ne jamais se réveiller, terrassée par la faim, la maladie, ou l'épuisement.

Dans cette atmosphère somnolente, seul un jeune hoplite de nom de Mephialtes cru apercevoir des ombres au bas du mur d'enceinte, en direction de la forêt. Eut-il gardé les yeux plus ouvert, il aurait alors vu les silhouettes discrètes qui s'affairaient juste à sa verticale. Celles de trois guerrières Nordiques chargée d'objet dont le poids n'était pas que physique et qui, épuisée, s'infiltrèrent dans la cité par une ouverture de contrebandiers, accueillies par les amis qu'Actée était parvenue à réunir durant leur unique nuit passée dans la ville.

Actée commença à déverser un flot de paroles aux deux hommes venus leur ouvrir, et l'un d'entre eux blêmit avant de partir en courant porter un message dont aucune des deux soeurs n'avait saisi le contenu, mais dont elles devinaient bien la teneur: les Draconistes n'étaient probablement pas loin. Peu importait l'immortalité de Freya, les Draconistes étaient nombreux - signe de l'importance qu'ils accordaient à cette mission. Pire, Actée et Kiine avaient bien vu les deux guerriers avant le portail proche de la Bibliothèque, et les trois femmes craignaient fort que le reste des troupes ait également entendu parler de ce passage - auquel cas, elles étaient probablement en train de se regrouper à l'orée de la forêt.

Actée savait qu'elles seraient en sécurité derrière les murs de la cité, mais qu'elles devraient repartir sans tarder, sans même prendre le temps de se reposer. Elle espérait que ses amis étaient parvenus à faire entendre l'urgence de la situation à l'Ecclesia, mais rien n'en était moins sûr - le système politique de la cité était lent, après tout, et la menace Draconiste leur semblait lointaine. Elle espérait tout de même que l'attaque des troupes Draconiste - si attaque il y avait - se solderait par un échec, et par une considération des Miniens de rejoindre leurs rangs pour combattre l'armée Draconiste, puisqu'il était clair pour elle qu'aucune des deux factions Nordiques n'en prendrait le risque, de peur de s'affaiblir.

Cependant, son espoir s'effondra lorsque, alors que leur petit groupe crapahutait au travers de la cité pour rejoindre leur chevaux à l'Ouest, un immense rugissement sembla ébranler jusqu'aux fondations même de la ville et que, l'instant d'après, les cors d'alerte résonnèrent dans toute la cité.

-Un dragon... murmura Actée avec un air désabusé. Il est là pour nous! Merde!

Le sol trembla, et des clameurs commencèrent à résonner dans la cité s'éveillant soudainement. Les habitants se pressaient à leur portes et leur fenêtre avec un air apeurés, tandis que d'autres couraient déjà dans les rues avec des cris de panique. Plusieurs escouades d'Hoplites en armure, chargés de leur imposant bouclier en bronze et de leur longue lance, accourraient à travers les rue vers les portes de l'Est, celles d'où provenaient les guerrières et leur précieux chargement.

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant