Le Chant du Couchant XVII

96 10 0
                                    

-C'est de la folie. 

Les paroles de Dol'Taim étaient froides et incisives. La Keshiane était debout, droite et impassible, adossée à l'épais mur de pierres, taillé avec une précision remarquable. Lefko, Naïa et Rehyan l'écoutaient en silence, chacune assise sur un des lits qui leur avaient été offerts pour la nuit par leur hôte nanique. Lesdits lits étaient d'une taille impressionnante, bien trop importante pour des nains, et leur montants étaient d'épais morceaux de bois ciselés avec précision en motifs végétaux complexes qui s'entrelaçaient. Ils étaient recouverts de draps d'un vert émeraude, réalisés dans un tissu qui coulaient entre leurs doigts comme l'eau d'un ruisseau. Tout, dans la demeure du clan, n'était que richesse ostentatoire et débauche de luxe, et la chambre d'ami dans laquelle les quatre femmes étaient logées ne dérogeait pas à la règle. 

-Qu'est ce qui est folie, Dol'Taïm? Demanda Naïa avec la douceur qui la caractérisait. 

Face à l'expression fermée de la Keshiane, elle hésita un instant, et sembla prête à ajouter quelque chose, mais se réfréna lorsque Lefko prit la parole.

-Tu sais que tu peux nous parler, Dol. Si quelque chose te dérange, nous avons besoin de le savoir.

Le visage félin de Dol'Taïm se contracta légèrement. Ses sourcils se froncèrent, son front se ride, ses oreilles se couchèrent sur l'arrière de son crâne. L'hésitation qui la tiraillait se ressentait sur ses traits. Finalement, elle sembla parvenir à une décision.

-Pleins de choses me dérangent. Avoua-t-elle finalement. Mais la principale, c'est cette Kesjarinna. 

En disant cela, Dol'Taïm avait soigneusement évité le regard de Lefko. Cette dernière répondit:

-Kiine? Je sais qu'elle semble froide et autoritaire, mais...

-Ca n'a rien à voir avec ça. Coupa Dol'Taïm. Elle... tout m'énerve chez elle. Sa condescendance, sa distance, son opacité, le fait qu'elle nous guide tout droit en territoire inconnu au devant de tous les dangers, elle... Elle nous met toutes en danger, voilà ce que je pense.

-En danger? Elle nous a sauvées la vie! Rétorqua Rehyan, qui écoutait jusqu'alors en silence, chose assez rare pour être précisée. Elle nous a ramenée chez elle dans son chateau! Est-ce que tu te souviens seulement de la dernière fois qu'on avait mangé un vrai repas? Dormi dans un vrai lit? Que l'on s'était reposées sans se demander ce que l'on ferait le lendemain?

-Je sais! Je sais tout ça! Mais pourquoi faire, au juste? Nous accueillir dans son empire pour devenir d'autres de ses soldats, de ses pions? Etre un moyen pour elle d'accéder à l'Okron? Elle dit faire cela pour sauver Lefko, mais personne n'en sait rien! Ce qu'elle trouvera là bas, elle le gardera peut être pour elle et nous laissera seules face au démon! 

-Kiine ne ferait jamais ça! S'exclama Lefko.

-Et qu'est ce que tu en sais, Lefko? Répondit Dol'Taïm, le regard acéré. Tu agis comme si tu la connaissais depuis toujours, comme si vous étiez liées par je ne sais quelle expérience commune, mais que connais-tu d'elle au juste? C'est juste une inconnue avec qui tu as partagé une nuit dans ta vie, Lefko! Comment peux tu lui faire confiance à ce point?

-Parce qu'elle a tenu sa promesse de me sauver...

-Après dix ans, Lefko. Dix ans! Elle est la femme la plus puissante d'Alodya, et pourtant, il lui a fallut dix ans pour se rappeler de ton existence et venir à ton secours! Admets le, tu ne la connais pas plus que nous, et tu n'as aucune raison de lui faire confiance. Nous n'avons que nos vies à perdre, mais elle, elle a beaucoup plus. Et nos vies ne doivent pas valoir grand chose à ses yeux.

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant