Le Chant du Couchant II

201 22 18
                                    

Les cordes brûlaient la peau nue de Lefko, et le bois irritait chaque parcelle de son dos. Les sable chaud était insupportable sous ses pieds, tout comme la terrible chaleur du soleil. Pourtant, tout cela n'avait pas d'importance. Tout cela n'en avait plus. Car en se tenant ainsi, face à la mort, tous ces problèmes semblaient bien dérisoires.

-Dol... appela-t-elle une silhouette toute proche, accrochée au poteau d'à côté. Ça... ça va?

-Autant que possible...

Dol'taim eut un petit rire étouffé, aussitôt remplacé par des protestations vis à vis de ses liens trop serrés. Les longues oreilles félines de la keshiane avaient été déchirées en plusieurs endroits au court de leurs longues pérégrinations à Brocéliande, mais son tempérament râleur n'avait pas changé. Jusqu'au bout, elle conservait sa mauvaise humeur. Sa queue agitait l'air à toute vitesse entre son corps et le bois qui la retenait immobile. Ses seins et son corps, parsemés en différents endroits de zones de pelages, était tout aussi couvert de cicatrices que ses deux compagnes.

-Restons dignes jusqu'au bout, mes enfants... susurra Naïa avec une douceur et une mélancolie qui lui étaient si propre. Au moins, ont ils épargné à Rehyan ce supplice...

-Parce qu'elle est une Kisaeng. Grogna Dol'taim. Sinon, elle serait ici, avec nous. C'est bien la première fois qu'elle doit remercier sa foutue malédiction.

-Dol'taim! Un peu de respect, je t'en prie... ces mots ne conviennent pas dans notre situation.

-J'ai bien peur qu'aucun mot ne convienne à notre situation. Souffla douloureusement Lefko.

Les milliers d'yeux qui l'assassinaient étaient une souffrance terrible. Savoir qu'elle allait mourir, son sang et ses entrailles étalés par des fauves, pour la plus grande joie de milliers de personnes, était une perspective de mort peu attirante. Alors, Lefko pria. Elle pria que tout cela se termine vite. Elle pria pour ne pas avoir à être témoins de la mort de ce qui restait de sa petite famille recomposée, attachée comme elle aux poteaux du supplice. Elle pria. Pourtant, cela faisait longtemps qu'elle avait cessé de croire en quoi que ce soit.

Des sous sols de l'arène, on fit monter les cages des fauves affamés, et Lefko se décomposa. Un énorme Lion des Montagnes. Un Fenrir montrant toutes ses denrs. Une Vypare rampant proche du sol avec une grâce reptilienne. Un Thylaque et ses immenses dents. La peur dévora soudain le ventre de Lefko. Toutes ses promesses, toutes ses prières, tous ses espoirs s'envolèrent à la vue de ces monstres affamés pendant des jours dans les sous sols de l'arène, à ces incarnations de la sauvagerie et de la mort.

Plusieurs suppliciés hurlèrent de peur. Tous ne venaient pas de Brocéliande, il en allait de soi; certains étaient de simples criminels, ou des malchanceux. La foule s'éleva en une immense ovation, lorsqu'une voisine de Dol'taim s'urina dessus de peur. La Keshiane fronça le nez de dégout. Lefko, elle, n'en fit rien: dans son état, elle comprenait la réaction de la condamnée.

Les monstres tournaient lentement, cherchant, pour certains, l'issue de cet immense piège, pour d'autres, des proies fraiches et incapables de s'enfuir. Dans son dos, Lefko entendit un cri. Elle se tendit, et sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle n'osait imaginer quelles fauves étaient apparus derrière elle, dans la partie de l'arène qui lui était cachée par l'imposant poteau. Elle ne voulait tout simplement pas savoir ce qu'il s'y passait, mais les hurlements terribles accompagnés des cris de la foule ne laissaient rien présager de beau. Lefko fixa le mur, face à elle, et notamment la tribune d'où les observaient les officiels, ordonnateurs de cette boucherie.

Une silhouette sombre s'y tenait. Au milieu de tous les vêtements blancs ou colorés des Pontois, la tenue faisait tâche, d'autant plus si l'on prenait en compte la blancheur des cheveux de son propriétaire. Le coeur de Lefko rata un battement, avant de se mettre à battre à tout rompre lorsque, décollant de sa plateforme, la silhouette noire chuta de plus en plus vite vers le sol de l'arène, pour finalement venir s'y écraser dans une gerbe de poussière et sous les cris incrédules de la foule.

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant