Le Destin du Kesjare XXVII

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Un éclair déchira l'obscurité. Kiine était, à son habitude, debout au milieu de l'immense étendue rocheuse. Elle sut que c'était son cauchemar habituel, et elle en trembla à l'avance. Elle voulait déjà se réveiller. Elle ne voulait plus revoir cette vision d'horreur. Elle tenta de détourner le regard du spectacle qui, elle le savait, l'attendrait dès que le prochain éclair illuminerait les environs, mais les mains qui la retenaient immobile la forcèrent à garder la tête droite.

La foudre craqua. Les deux silhouettes apparurent. Yuriana, gisante à genou, incapable de se battre. Et son meurtrier, dont le regard avait semblé si familier à la jeune femme lors de ses précédents rêves. Son épée était levée.

-Arrête cette folie! Hurla finalement la jeune femme. Arrête ça! Laisse la! Tue moi! Tue moi à la place, qu'on en finisse de ce rêve! Ne la touche pas!

Le noir retomba, et Kiine retint son souffle, craignant d'entendre le terrible cri de son amante. Mais seul le martèlement de la pluie, le grondement des vagues et la vibration noire et hilare des Reliques retentit.

Au nouveau coup de foudre, le meurtrier faisait face à Kiine, son épée toujours levée, prête à frapper. Et l'air quitta les poumons de la guerrière.

Ce visage, elle le connaissait. Ces yeux doux, mais distants. Cette broussaille de cheveux et de barbe aussi connus que lointains. Cette expression attendrie contrastant comme le jour et la nuit avec son épée levée, menaçante.

-Père... murmura Kiine.

-Kiine. Répondit-il, et sa voix ébranla le corps entier de la jeune femme.

Ils se jaugèrent longuement, dans la lumière continue des éclairs qui s'abattaient en continu autour d'eux dans un vacarme assourdissant. Puis, Orgnar ajusta sa prise sur son épée.

-Non... non! Hurla Kiine. Arrête! Lachez moi! Je refuse de voir ça! Yu! Fuis... Fuis!

À sa surprise, ce fut Yuriana qui se mit à parler... l'épée sembla s'abattre avec lenteur vers elle, comme si le temps ralentissait pour forcer Kiine à voir le moindre détail de cet atroce meurtre qui lui avait toujours été caché par l'obscurité auparavant.

-J'ai peur, Kiine! Réveille toi, par tous les dieux! Réveille toi, par pitié... j'ai besoin de toi... KIINE!

La lame s'abattit à l'instant ou l'obscurité retomba, sur les cris mêlés des deux femmes. La douleur de Yuriana était celle de Kiine, qui cria et pleura à s'en déchirer la voix. Elle voulait se réveiller. Elle voulait fuir ce cauchemar. Elle attendait simplement les mots doux de sa compagne, ceux qui accompagnaient toujours la fin des mauvais rêves. Elle attendit longtemps, en sanglotant.

Mais la voix de Yuriana ne retentit pas. Elle ne se réveillait pas. Un goût atroce lui emplissait la gorge, alors qu'elle priait tous les dieux de la tirer de ce cauchemar. Elle craignait à chaque instant qu'un nouvel éclair vienne éclairer la scène du meurtre. Elle savait qu'elle ne pourrait la supporter, même en rêve. Autour d'elle, l'orage continuait de gronder au loin, dans un silence absolu. Et soudain...

Kiine se mit à tomber. Une douleur lui transperça le dos, une qu'elle sut être réelle, et elle ouvrit alors les yeux, pleinement éveillée. La guerrière mit quelques instants à comprendre qu'elle avait été réveillée car elle avait été éjectée de son lit par la tempête. Elle était assise contre le mur, la respiration coupée, trempée de sueur, et encore dénudée. Tremblante, Kiine rampa vers le matelas, secouée par le violent tangage du navire. Elle blêmit en apercevant que Yuriana n'était pas là.

Mais que son épée, rangée dans son fourreau, gisait dans un coin de la pièce.

Aux côtés d'un cadavre.

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant