Le Chant du Couchant XX

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Lenkaro était une immense cité en comparaison à celles que Kiine et ses compagnes de voyage avaient pu croiser au cours de leurs semaines de pérégrination au cœur des montagnes d'Helljarchen. Encaissée au creux d'une vallée de forme circulaire, semblable à un cratère, elle étendait ses membres tentaculaires dans tout l'espace disponible, y comprit sur les pentes abruptes des pics rocheux, comme si chaque pouce valait le pesant en or de toute la roche qui s'y trouvait et que, en conséquence, pas un seul ne pouvait être perdu. C'était également un capharnaüm d'une taille démentielle, aux bâtiments plus hauts et plus extravagants les uns que les autres, s'élevant bien au dessus de l'océan de masures sales et entassées qui peuplaient les couronnes périphériques de la cités naine. Depuis le col y descendant, la petite troupe pouvait admirer sans difficulté la forêt de fumerolles s'élevant des cheminées, embrumant l'air et l'empuantissant d'une odeur omniprésente de brûlé. La voie, qui avait semblé si peut usitée durant leur trajet, était désormais encombrée d'une armée de charrettes tirées par les montures des nains, si semblables à des bouquetins de petite taille. Le contenu desdits chariots n'était cependant pas très varié, s'agissant en général de nourriture, d'étranges pierres noires ou bien de tonneaux et bouteilles au contenu mystérieux, que Lefko ne put parvenir à déterminer. Malgré l'encombrement évident de la route qui descendait, sinueuse, le long de la pente, vers le cœur de la ville, l'escorte n'eut que peu de peine à progresser, bien qu'ayant abandonné leurs propres chariots au début de la congestion. En effet, la simple vue de ces nains en armure, perchés sur leurs bouquetins recouverts de tissus richement brodés, et armés de longues lance d'acier, semblait être un signal suffisant pour que tous les cochers grincheux et fatigués se rangent sur le côté, sans même se poser de question. Et, lorsque Lefko se demanda s'il s'agissait d'une simple coutume naine qu'elle ne pouvait comprendre, elle comprit qu'il s'agissait de quelque chose de bien différent, lorsqu'un chariot aux essieux en bien mauvais état ne parvint pas à se ranger assez vite sur le bord de la route boueuse. Sur un simple mot de Koulov, deux guerriers nains poussèrent leur monture dans sa direction, en saisirent le cocher au vol, et le foulèrent au pied de leur monture. Le petit corps se recroquevilla, tentant d'échapper aux sabots pointus des bouquetins, avec plus ou moins de succès, tandis qu'un autre membre de l'escorte se saisit des brides de l'attelage du chariot pour le tirer de force sur le côté, laissant ainsi la voie libre à l'escorte. 

Les voyageuses observèrent ce triste spectacle en silence, tout comme le reste des conducteurs qui, pour la plupart, détournaient les yeux, indifférents à un évènements qui leur semblait tout à fait banal. Lefko déglutit, et échangea un regard avec une Dol'taïm dont le trouble, bien que bien caché, était visible pour celle qui la connaissait si bien. Naïa blêmit, et Rheyan tenta de garder un regard digne et froid, à l'image de Kiine, dont la voix glaciale vint seule percer le silence pesant qui s'était abattu sur la route.

-Je doute qu'un tel déchainement de violence soit nécessaire. Mon Fenrir n'a pas besoin de toute la largeur de la route pour avancer.

-Mais en tant que monture d'une dirigeante, il en a le droit. Rétorqua Koulov. La Kolima, le peuple si vous préférez, est inféodée à la Clanique qui, en échange de cette obéissance, assure leur protection militaire et leur sécurité en combattant le crime. C'est la moindre des choses de nous montrer le respect en tout moment de leur vie, et échouer à le faire est souvent signe d'insubordination.

-Je crains que vous ne lisiez un peu trop profondément les opinions d'un cocher n'ayant pas poussé son chariot assez rapidement sur le côté.

-Vous ignorez bien des choses de ce pays, Kesjarinna. Répondit simplement le nain hirsute. Les révoltes de kolimis sont des évènements d'une violence inouïe. Le moindre relâchement de notre part peut signifier notre mort. Le peuple est, après tout, très ingrat. Il ignore ce qui est bien pour lui. Il ne cherche qu'à trouver des moyens de travailler moins, en oubliant que son rôle dans la société est de nourrir tout le royaume. Cet égoïsme ne peut être toléré. 

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant