La Légende de Kiine

Chant de Kynareth III

-Pourquoi as tu considéré comme bon de ramener cette nymphe ici? Soupira Kynareth en s'asseillant à la grande table de bois ornant le centre de l'immense pièce de vie de la cheffe.

-J'ai pensé qu'il serait important pour nos filles de connaître un peu mieux le monde qui les entoure... nous ignorons combien de temps durera l'empire, mais quand ce sera à leur tour de prendre la relève, la guerre ne se fera peut être plus contre des humains. Et puis... je considère que cette nymphe est bien mieux utilisée ici qu'elle ne l'était à Pont-Mineur.

Son regard était éloquent, et Kynareth n'eut pas besoin de demander plus de précision pour comprendre qu'Orgnar avait trouvé l'étrangère dans une maison de passe.

-J'espère que tu sais ce que tu fais. Trancha finalement Kynareth, mettant fin au sujet. As tu déjà fait ton rapport à Balta?

-Malheureusement non, mais je ne vais pas tarder à me rendre à la tribu d'Inam pour le faire.

-Te voilà donc déjà prêt à repartir...

Sa voix se voulait neutre, mais la frustration et la tristesse y transparaissait avec une telle clarté qu'elles n'échappèrent pas à Orgnar.

-Ma renarde... fit-il en s'approchant du siège où elle était assise. Je suis désolé de ne pas pouvoir être aussi présent que je le désirerai, mais en tant que frère du Kesjare, je suis naturellement appelé en de nombreux endroits.

-Eh bien va! Va donc rejoindre ton Kesjare de frère, et laisse ta famille sans toi.

-Kynareth...

-J'ai compris, je te dis! Je suis parfaitement à même de me débrouiller seule, et tu as tant de choses à faire. Je ne dois pas faire passer mes envies avant tes devoirs.

Les paroles de Kynareth étaient pleines d'amertume. Elle en voulait à Orgnar de ne pas avoir été là pendant si longtemps depuis la naissance de ses filles, mais elle l'enviait également. L'aventure et le combat lui manquaient. Elle était une guerrière, une combattante, avant d'être une trésorière et une intendante. Passer ses journées à gérer sa propre tribu lui faisait penser avec ironie qu'elle s'était elle même enfermée dans cette vie. Elle l'aurait volontiers plaquée pour repartir se battre s'il n'y avait pas ses filles... et la peur constante du véritable retour des troupes draconiques.

Orgnar reparti, elle continua à retourner tous ces questionnements dans tous les sens, à tenter de leur donner un sens, à imaginer les pires scénarios malgré elle. Elle tournait en rond comme un félin en cage dans la grande salle de Tribu de sa maison. Rapidement, elle réalisa que l'arrivée de la Nymphe dans la maisonnée l'avait cependant libérée d'un poids. La jeune servante l'aidait volontiers dans ses tâches administratives, et était adorée de ses filles à qui elle racontait toujours des histoires de Nymphes, Amazones, Ogres, Shinobu et autres races lointaines et inconnues autant de Kynareth que de ses deux enfants.

-Tu semble avoir vécu tant de choses, Actée... lui dit un jour Kynareth alors que la belle nymphe lui peignait les cheveux dans le bain.

-Les nymphes vivent bien plus âgées que les humains, ma dame. Lui répondit-elle avec douceur. Nous avons plus de temps pour vivre des expériences et les raconter.

-Parles moi de ton peuple... j'imagine que tu en as déjà beaucoup dit à Elpa et Kiine, et je m'excuse de te faire ainsi répéter, mais j'eu mille fois préféré t'écouter parler que de répartir les récoltes de l'année entre mes sujets.

-Ne vous en excusez point, madame, j'ai toujours plaisir à me remémorer ma terre natale et mon peuple. Par où commencer... nous vivons dans la péninsule d'Helania, loin au sud est d'ici... c'est une terre chaude, mais recouverte de grandes forêts d'arbres à feuilles, dont la douceur diffère bien de la rudesse de vos arbres à épines.

-J'imagine que la forêt qui nous abrite est bien représentative de la rudesse de mon peuple. Fit remarquer Kynareth.

-Une rudesse, mais également une chaleur... mon peuple est très... fier et individualiste. Nous n'avons pas vraiment de tribus, de cité, de royaume... des petits regroupements parfois, mais rien de plus profond, et les liens que nous tissons sont très souvent superficiels.

-Parles moi de ces liens... de tes parents, par exemple.

Un petit rire secoua le corps de la nymphe.

-Voilà bien une parole humaine, ma dame. Les nymphes n'ont pas vraiment de parents au sens où vous l'entendez... dans les profondes forêts d'Helania, il existe d'immenses arbres dont le mantra est très fort. Ce sont eux nos parents, et nous sommes les fruits qui poussent à leurs branches. De fait, nous ne pouvons pas nous reproduire, mais avons également une grande affinité au mantra et à la nature.

Kynareth, de plus en plus intriguée, se retourna dans sa baignoire en bois afin de faire face à son interlocutrice.

-Actée... quel est ce mantra dont tu parles tant.

-Oh... il est vrai que cela semble être un concept assez rare parmi les humains de cette région du monde. Comment l'expliquer... le mantra est le tissu de notre réalité. Il est partout, et nous en sommes une part intégrante... et les êtres doués de raisons peuvent plus ou moins le plier ou le modifier à leur volonté. C'est un entrainement difficile, et certaines races y sont plus douées que d'autres.

-Et je suppose que tu y es douée?

Sans répondre, Actée commença à chanter d'une voix douce qui emplissait la pièce de ses notes vibrantes. Petit à petit, son chant prit en puissance et la résonance de ses accord semblait faire vibrer l'atmosphère autour de Kynareth. Soudain, surgit du bois constituant la baignoire de fortune de la cheffe une branche qui, tout en s'allongeant et en serpentant dans l'air, se couvrit de petites aiguilles de sapin, essence dont était constitué le bac. Kynareth observait avec une attention émerveillée la beauté du miracle qui s'accomplissait sous ses yeux, alors que les petites branches poussant de sa baignoire s'entrelaçaient entre elles pour former un portrait boisé de son propre visage. La voix vibrante et cristalline de la nymphe s'abaissa pour finalement se taire et la laisser légèrement pantelante, mais un grand sourire affiché fièrement.

-C'est... magnifique, Actée... ton peuple entier est-il capable d'une telle prouesse?

-Le chant est dû à notre proximité avec la nature et le mantra des arbres qui nous donnent vie, mais tout être humain suffisamment sensible aux chant de la réalité peut maitriser ce pouvoir.

-Et... serais-je capable de maîtriser ce mantra? Demanda Kynareth de but en blanc.

-Ma dame... votre sensibilité au mantra est grande, je l'entend au chant que vous dégagez. Plus élevé que la moyenne des humains. Je n'aurai aucune objection à tenter de vous enseigner le peu que je sais sur cette maitrise. Mais, si je puis me permettre... c'est Kiine qui attire le plus mon attention.

L'attention de la cheffe de guerre redoubla.

-Ma fille? Qu'a-t-elle de particulier?

-Eh bien... sa vibration dans le mantra est si grande qu'elle en perturbe ma maitrise. Elle est sans doute l'être le plus puissant que j'ai pu croiser au court de mes pérégrinations, au delà même des autres races plus sensibles que les humains.

L'expression de la cheffe se fit soudain soucieuse.

-Ne puit-elle pas simplement ignorer tout du pouvoir qui réside en elle?

-Ma dame... sa vibration attirera inéluctablement nombre de créatures et être sensibles au mantra, dont le désir ne sera nul autre que de l'éliminer ou de la rallier à leur cause. Le mantra n'est pas neutre, il oscille sans cesse entre l'ordre et le chaos, ses deux forces opposées. Le risque de la laisser sans formation est qu'elle choisisse un chemin qui n'ait que de mauvaises conséquences sur elle.

-Je... vois... peut être qu'il est nécessaire que tu la forme... mais j'exige d'assister à la moindre de ses séances, et de tenter d'apprendre moi aussi ces capacités.

-Si je puis me permettre, ma dame, il est fort probable que vous utilisiez déjà inconsciemment nombre des avantages fournis par le mantra. Votre expérience vous permettra d'avoir bien moins à apprendre que votre fille.

-Peut être. Mais peu m'importe.

-Je ferai selon votre désir, dans ce cas. Répondit docilement la jeune nymphe.