La Légende de Kiine

Numinomachie XI

Kiine attendait, droite comme une pique le long du mur du vestibule, fixant droit devant elle comme si sa vie en dépendait, son dos restant à quelques centimètres du mur de peur de paraitre impolie si elle s'appuyait contre. Actée avait disparu dans à l'étage, accompagné du fils Algamaque, et sa fille, elle, attendait toujours que quelqu'un vienne la mener à sa chambre. La jeune femme n'en menait pas large pour autant. De partout autour d'elle, résonnaient des voix incompréhensibles, des éclats et des rires, mais également des gémissements, soupirs, grincements voir cris qui la mettaient au comble du malaise. Pourtant, Kiine écoutait, avec une attention soutenue même, incapable de se détacher du bruit si spécifique à l'amour des corps. Kiine, il faut le dire, était à l'âge où ce genre de choses devient primordial, mais l'éducation Nordique n'en faisait pourtant pas grand état, passant bien plus de temps à expliquer comment tenir une épée qu'une lance, à traiter du combat en arme plutôt que du corps à corps, et des rites funéraires plutôt que de ceux de conception. Une étrange excitation, et le sentiment de briser un interdit emplissaient toutes les pensées de Kiine, qui se prit bientôt à frétiller malgré elle sur place, jetant des regards peu discrets à chaque personne traversant le couloir, dans l'espoir de satisfaire sa soudaine curiosité érotique.

Il était facile de repérer les employés des clients. Les premiers étaient maquillés, leurs yeux cerclés d'un noir d'ébène et leurs lèvres colorées par des pigments qui restaient sur la peau des heureux clients. Les hommes allaient torse nus dans les couloir, simplement vêtus d'un pagne blanc, laissant voir la beauté de leur torse et de leurs muscles saillants. Mais le regard de Kiine était aimanté par les femmes. Les prostituées arboraient des coiffures toutes plus élaborées les unes que les autres, et revêtaient des vêtements qui, tout en les couvrant correctement, étaient terriblement révélateurs. Sur des pagnes légèrement plus longs que ceux des hommes, venait en général se greffer deux pièces de tissus se croisant sur leur poitrine afin de la maintenir et de la cacher, tout en laissant un magnifique décolleté et une grande aisance de mouvement. Kiine essaya de s'imaginer porter une telle tenue et se trouva bien ridicule, avant de tâter avec quelques regrets les formes légèrement développés de sa propre poitrine, que son épaisse tunique de cuir renforcé ne laissait pas vraiment voir.

C'est le moment que choisit une personne pour s'éclaircir la gorge, signifiant ainsi sa présence, et Kiine sursauta tout en retirant prestement ses mains de sa propre poitrine, maudissant sa propre négligence à sonder son environnement. Face à elle, se trouvait une jeune fille qui semblait avoir sensiblement le même âge qu'elle, et vêtue de la même manière que les autres prostituées. Ses longs cheveux noirs comme la nuit étaient réunis en un savant chignon dont les mèches retombaient sur ses épaules, et son visage angélique était avenant et attirant. Cependant, ce qui frappa Kiine fut d'une toute autre nature; la jeune fille avait la peau d'une blancheur immaculée, semblable à celle de la neige lors des mois d'hiver. De plus, ses pupilles avaient la couleur du sang et ressortaient aussi fortement que ses lèvres, peintes de la même teinte. Kiine déglutit: c'était une opaline.

-Êtes vous Kiine, fille de Kynareth? Demanda la jeune prostituée d'une voix douce, dans un Nordique chargé d'un certain accent mais très correct.

Kiine ne put que hocher la tête pour signifier son assentiment.

-Mon maître m'a chargée de vous mener jusqu'à votre chambre. Vous êtes nos hôtes pour le temps que vous le souhaitez, et le moindre de vos désirs est un ordre pour nous.

-Tu... hum, vous parlez très bien Nordique. Fit Kiine avec enthousiasme en lui emboitant le pas. Où l'as tu... où l'avez vous appris?

L'habitude des Nordique à tutoyer tout le monde rendait difficile les tentative de communication de Kiine, et elle en ressentit une grande honte.