Numinomachie XXIII

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Avant même leur apparition, les présages annonçaient leur arrivée. Une inquiétude sourde dans le mantra. Des clameurs lointaines, résonnant en écho lointains dans les bois de la grande Taiga. Les lointaines colonnes du fumées et nuages de poussière s'élevant au dessus des arbres. L'odeur du sang et de la mort, charriée par les vents et par la rivière Dovah, ruisselant avec lenteur au coeur des Rives Blanches. Les eaux de cours d'eau se teignaient peu à peu en une couleur mauve et charriaient des corps, flottant dans ses bouillonnements au milieu de morceaux de bois, de draperie, de peaux, et d'autres objets qui y avaient été jetés en amont, vers le Nord, au coeur des insondables forêts de conifère, comme un défi lancé à ceux qui osaient se lever contre le pouvoir des Dragons, en salissant la rivière portant le nom de celui réputé pour les avoir vaincus. Un nombre impressionnant de fuyards passaient à proximité ou traversaient les Rives Blanches, où l'armée Helienne avait enfin établi son campement, apportant de sombres nouvelles du Nord. Asjir et Bovrung seraient tombées, les deux plus grandes tribus de la région septentrionale de la Taiga d'Odin. Certains des fuyards racontaient qu'il n'en restait que des tas de bois fumants et des monceaux de cadavre. D'autre que les Draconistes étaient des morts-vivants squelettiques se nourrissant de chair humaine. Des enfants avaient fuis seuls, et, affamés, tentaient de survivre tant bien que mal en volant. Certains adultes, également. Mais la plupart des guerriers nordiques étaient trop fier pour s'abaisser à cela, bien qu'ils répugnent à mourir de faim plutôt que sur le champ de bataille.

La plupart des combattants valides se joignirent à l'imposante force Helienne qui campait sur le cours de la Dovah, au point que le ravitaillement commençait à devenir difficile. Les Nordiques n'avaient de grande Armée que pour conquérir des territoires extérieur, et maintenir en forme un grand groupe d'individu dans des territoires aussi peu fertiles que la Taiga était difficile... cependant, les cheffes Heliennes savaient se montrer diplomates: on se faisait approvisionner par l'Est, au bout des Rives Blanches, par le biais de la Tribu d'Arga qui s'y trouvait et n'avait pas oublié son lien profond avec les peuples de l'autre terre Nordique. L'attente était fébrile. On savait les Draconistes au Nord, plus ou moins proche, mais on ignorait tout de leurs véritables intentions, de leur position, ou même de s'ils comptaient se montrer aux Rives Blanches pour y affronter la menace qui les y attendait.

-Si les Dragons sont aussi fiers qu'on le dit, avait expliqué Actée, il ne résistera pas à un tel défi. N'oublions pas qu'il souhaite soumettre tout le monde connu.

-Voilà bien l'arrogance des Dragons. Avait pesté la cheffe Barida.

-Je suis tout de même satisfaite de voir que tous les guerriers de la Taiga d'Odin ne sont pas aussi stupides que leur dirigeants. Ajouta la cheffe Torunvir. Nous avons bien besoin de renforts, si les troupes draconistes s'avèrent aussi nombreuse que le laissent supposer les premières estimations.

-L'aide des Dieux serait plus profitable, mais nous ferons avec ce que nous avons. Grommela Machika.

Alors, le campement se laissait aller à l'alanguissement, se profitant d'un repos et d'une calme qui semblait n'exister nulle part ailleurs au coeur de la Taiga d'Odin. Les guerriers discutaient, s'entraînaient, fraternisaient. Beaucoup de barrières tombaient, les Heliens montrant les pouvoirs de leur maître, les Odiniens faisant partager leur célèbre hydromel. Les Fenrirs chassaient librement dans les environs, et les traces de leur carnage n'étaient pas très belles à voir, tandis que les chevaux, eux, se contentaient de brouter l'herbe verte de la vallée. Actée, soutenue par Elpa et Machika, restait aux Pierres Dressées, dans le plus grand des secrets: on ne voulait absolument pas que le Dragon en entende parler, au cas où, très peu probable, il connaîtrait le sort d'Alduin et des Dragons qui l'accompagnaient. C'était un piège - un piège qui nécessitait un affrontement frontal et l'utilisation d'armes terribles et redoutables qui laissaient Elpa et Kiine plus inquiètes chaque jour.

Kiine, elle, finalisait son entrainement, du moins autant que possible. Elle était désormais capable de tenir tête à plusieurs maîtres Heliens malgré l'apprentissage récent de son affinité, ce qui lui accordait un prestige immense dans cette culture magnifiant le combat et la guerre. Kiine n'en avait cure. À peine eut-elle vaincu les Maîtres qu'elle exigea de se mesurer de nouveau à Yuriana, dans un combat qu'elle perdit évidemment, comme tous les précédents ainsi que tous ceux qui suivirent. Conformément à leur voeux, elles ne reparlaient pas de leur relation. D'un commun accord, elles se concentraient uniquement sur le combat à venir, sur la préparation, l'entrainement, la planification. Leurs regards étaient pourtant plein d'envie tandis qu'elles bataillaient en tenues courtes, sur terre ou les pieds dans l'eau, de jour comme de nuit, qu'il pleuve ou qu'il vente. Kiine parvenait à rendre de plus en plus de coups... mais en recevait également de plus en plus puissants, Yuriana ne la ménageant pas le moins du monde.

Il ne se passait pas grand chose, au campement. Pourtant, un matin, les guerriers aperçurent un nuage de fumée indiquant l'arrivée d'une troupe conséquente. Problème: elle ne provenait pas de l'ouest et du Nord, là où devaient se trouver les draconistes. Elle provenait de l'est, dans leur dos, en direction de la Tribu d'Arga et de la longue Enclave des Mines, cette longue bande de terre séparant les deux Taiga et parsemée de nombreuses cités. Et pour cause: les guetteurs comprirent bien vite que l'armée qui s'avançait n'était point draconiste. Les longues lances, les casque en bronze surmontés d'impressionnantes crêtes et les boucliers aux motifs variés ne laissaient pas de doute sur sa provenance. En revanche, les guerriers Nordiques ignoraient si les Hoplites miniens étaient venus se battre contre eux, ou contre les draconistes. Les généraux Miniens ne firent pas planer le doute longtemps: les troupes avançaient au pas, bouclier et lance dans le dos, au côté des chevaux, boeufs et esclaves portant leur paquetage. Il n'était pas le moins du monde prêts à se battre, et les Nordiques les accueillirent donc, au départ avec méfiance, puis à bras ouverts.

C'était une période étrange, presque irréelle. Chacun se savait en guerre, au bord d'un potentiel effondrement du monde, conscient de la proximité de l'ennemi. Pourtant, chacun profitait de la vie, des rencontres, du soleil brillant autant que possible avec l'arrivée des premiers beaux jours, qui permirent aux froides nuits de se réchauffer un peu. C'était une drôle de guerre où l'on jouait aux osselets avec des hommes qui, la veille encore, étaient ennemis. C'était un combat durant lequel les soldats miniens se laissaient absorber par l'étrange beauté virile des guerrières Nordiques. C'était une lutte où les guerriers découvraient des races qu'ils n'avaient jamais rencontré parmi les esclaves de leurs alliés: nymphes aux odeurs florales, opalins à la peau neige, nains petits et bourrus, keshians aux longues oreilles félines. Esclaves qui, eux même, découvraient une terre où nul ne pouvait être enchainé et ou chacun recevait le respect qui lui était dû en fonction de ses actions. Les échanges culturels étaient frappant, malgré la proximité géographique des peuples et le fair qu'ils appartiennent au même Empire, pour autant que celui ci existe encore réellement... ce n'était pas une alliance politique, mais une alliance de peuples qui refusaient de voir à nouveau le joug draconique s'abattre sur le monde. Alors, on s'entraina ensemble, on échangea des armes, on entreprit d'en forger de neuves, on s'émerveilla devant les longs manteaux rouges des hoplites de Minekorpis, a la réputation sans faille. On fit l'amour, également... on savait que cette parenthèse étrange et féérique ne durerait pas, et que bientôt, beaucoup perdraient à jamais la chance de pouvoir gouter à nouveau aux plaisirs terrestres. C'était, décidément, une drôle de guerre.

Qui fut interrompue lorsque, au petit matin d'un jour de la troisième semaine, des ailes noires apparurent à l'horizon, vers l'Ouest. Alors, comme un seul homme, les combattants refermèrent la parenthèse, enfilèrent leur armure, saisirent leurs armes, sellèrent leur monture, prière leur Dieux, et firent face à leur destin: s'ouvrait la Deuxième Bataille des Rives Blanches, la deuxième fois que l'humanité allait y combattre la tyrannie des Dragons.

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant