Le Chant de Kynareth VIII

367 36 0
                                    

-On arrive quand?

-Bientôt.

-Bientôt quand?

-Kiine... soupira Kynareth. S'il te plait. C'est insupportable.

-Mais j'aimerai y être tout de suite! Se plaint le jeune fille.

-Prends exemple sur ta soeur, elle marche en silence, elle. Fit remarquer Actée, ce qui lui valut un regard noir de la part de la concernée.

Kiine se renfrogna et se laissa dépasser par le petit groupe pour marquer son mécontentement, ce qui finalement n'intimida nullement ni sa mère ni Actée, qui continuèrent à avancer sans se soucier plus avant des sautes d'humeur de la jeune fille. Cela eut le don d'agacer encore plus l'âme rebelle de Kiine, qui commença à frapper chaque caillou qu'elle croisait sur le petit chemin forestier. Soudain, entre les cimes de deux arbres sur le côté du chemin, elle entraperçu deux immenses pics pointant droit vers le ciel et perçant les nuages. Ils semblaient tout proches aux yeux de la jeune fille, et elle se rappela les nombreux récits de sa mère au sujet du Havre Céleste. C'était ça... ça ne faisait aucun doute...

Pourtant, le chemin continuait tout droit, semblant ignorer les deux immenses cimes.

-Je suis sûre que le chemin fait un détour énorme... grogna la jeune blonde. Je vais leur montrer que je suis grande et que j'ai pas besoin d'eux!

Et sans plus d'hésitations, elle quitta le chemin pour s'enfoncer dans la noirceur des bois, en ligne droites vers le sanctuaire montagneux. Pendant longtemps, elle marcha gaiement, fière de son idée, repoussant les branches des buissons et enjambants les troncs morts de la forêt primitive. Mais alors que le couvert des arbres se faisait de plus en plus épais et que la luminosité des sous bois commençait à diminuer, Kiine commença à douter sévèrement du bien fondé de son entreprise. Les épais couverts d'épines l'empêchaient de se repérer vis à vis de la montagne, et elle n'était plus sûre de se diriger tout droit dans la bonne direction. La peur et la panique commencèrent à s'emparer d'elle.

-Maman? Actée? Elpa?

Ses appels restèrent évidemment sans la moindre réponse, et Kiine ignorait jusqu'au passage lui permettant de rebrousser chemin jusqu'à la route qu'elle avait quitté plus tôt. Les bruits de la forêt se faisaient de plus en plus étranges, mystérieux et même menaçants... les branches projetaient des ombres fantomatiques dans toutes les directions, et le vent venait ajouter une touche sinistre en sifflant de plus en plus fort.

Kiine tenta de se raisonner, et se rappela des leçons d'Actée.

« Tu ne fais qu'un avec la réalité à travers le mantra »

Kiine s'arrêta et ferma les yeux, afin de sonder les environs. Le fourmillement de la vie lui apparut peu à peu, à travers les vibrations qu'elle pouvait ressentir dans le mantra. Les arbres centenaires vibraient à un rythme lent et presque imperceptible, mais empli d'une puissance que Kiine n'avait jamais ressentie chez les arbres près de la tribu de Kynareth. Une aura toute particulière se dégageait de la forêt, et la jeune fille en était encore plus désorientée qu'avant d'avoir commencer à sonder les environs. Elle se concentra pour tenter de percevoir d'autres choses, plus lointaines ou moins perceptibles, qui puissent lui donner plus d'indice sur le lieu où elle se trouvait que les étranges arbres.

Elle senti la menace une seconde avant que cette dernière ne s'abatte sur elle, son mantra étant désorienté et parasité par la puissance de lieu. Kiine bondit instinctivement et regretta de ne pas avoir pris son épée d'entrainement qui, bien qu'émoussée, était déjà une meilleure arme que ses poings nus. Elle releva les yeux pour fixer son agresseur, et blanchir en apercevant l'immense Ursa qui se tenait face à elle. Les forêts de la Taiga d'Odin étaient peuplées d'un nombre impressionnant de bêtes mortelles, des immenses Loups Blancs aux Basilics, mais aucun n'approchait de près ou de loin la menace que représentait les Grimms. Ces créatures couleur nuit dont seul le visage blanchâtre ressortait dans l'obscurité n'étaient pas que de simples animaux, c'était des Svörpen, des monstres issus des dieux les plus maléfiques... et les Ursas étaient parmi les plus grand et dangereux des Grimms parcourant la région.

L'Ursa était semblable à un immense ours dont la fourrure aurait été remplacée par une noirceur insondable, et le visage aurait été recouvert d'une couche de peinture luminescente. Ses yeux rouges luisaient d'un regard menaçant, et il rugit en chargeant une nouvelle fois Kiine. La jeune fille réagit instinctivement et sauta de côté, évitant de justesse pour la deuxième fois une mort certaine. Se souvenant de tout ce qu'elle avait pu apprendre au sujet de ces monstres, Kiine se mit à courir en zigzagant entre les arbres, sachant que son adversaire bestial, bien que rapide, était trop massif pour réussir à prendre de tels virages. Cette stratégie marcha quelques temps, mais rapidement Kiine fut rattrapée par la fatigue de la marche de la journée, et fut incapable de fuir plus longtemps, alors que l'Ursa, lui, semblait encore plein d'énergie et prêt à en découdre.

Lorsqu'il lui sauta dessus, Kiine concentra son mantra et envoya frapper une onde de choc qui renvoya l'Ursa d'où il venait, mais sans pour autant le blesser tandis que Kiine venait de bruler un peu plus de l'énergie qui lui restait. Habitée par une force qui lui faisait oublier cette fatigue, Kiine se releva et se saisit d'un long bâton de bois qui pourrissait sur le sol de la grande forêt. Son esprit fonctionnait à toute vitesse, et la première idée qui lui vint à l'esprit fut de transmettre une part de son mantra dans son arme de fortune, avant de la projeter avec force vers la bête. À sa grande surprise, le fragile bâton s'enfonça profondément dans l'épaule du Grimm, lui arrachant un hurlement de douleur et de rage. L'instant d'euphorie ayant suivi la réussite de son plan disparu rapidement lorsque l'immense patte de l'Ursa vint s'écraser contre son torse, la projetant en arrière contre un tronc. Kiine eut à peine le temps d'amortir le choc grâce au mantra, et remercia mille fois les conseils d'Actée alors qu'elle se releva péniblement, pantelante, le front ensanglanté et le bras droit ballant. Mais les conseils de la nymphe ne lui disaient pas comment se sortir d'une telle impasse...

L'ursa grogna et se retourna vers elle. Pendant un court instant, son regard rougeoyant croisa celui de la jeune fille, et cette dernière tenta le tout pour le tout: puisant dans ce qui lui restait d'énergie, elle apaisa sa respiration et tendit sont esprit vers celui de la bête dans l'espoir de l'apaiser. Actée était une maîtresse absolue de ce genre de technique, et elle en avait enseigné les bases à Kiine. Mais l'esprit que rencontra Kiine n'avait rien de commun avec tout ce qu'elle avait pu croiser auparavant. C'était un esprit purement chaotique, sans aucune logique ni aucune rationalité, uniquement baigné dans un flot d'émotions primaires et violentes qui alimentaient son mantra, et que son mantra alimentait en retour, comme un brasier qui ne cesserait de prendre de l'ampleur en se brûlant lui même. Le simple fait de toucher cet esprit de haine et de chaos pur transmit à la jeune fille une part de son incommensurable noirceur, et une violente colère s'empara d'elle, irraisonnée et folle... Kiine sentit ses veines la brûler, son cœur s'enflammer, et sa bouche s'assécher. La terreur et la haine se mêlaient comme une tempête trouble l'océan, détruisant avec fureur tout élément de rationalité en elle. Mais cette rage et cette peur ne pouvaient lui ôter la fatigue qui la minait, tout au plus pouvaient elles lui permettre de mener une dernière attaque destructrice grâce à la puissance du Chaos, dans l'espoir que cela soit suffisant pour mettre à terre son adverse...

Kiine n'eut même pas le temps d'y penser. Déjà, l'ursa était sur elle, et son esprit embrumé par le chaos et la fatigue n'eut pas le temps de le réaliser avant qu'il soit trop tard. L'adolescente subit l'attaque de plein fouet, et sentit sa chair se déchirer son l'impact vicieux de l'ursa. Elle sentit la douleur lui scier les chairs et son propre sang s'écouler peu à peu de la plaie béante que l'être de Chaos, le Grimm, avait ouvert en son ventre. Sa vision se troubla peu à peu, et ses paupières commencèrent à se fermer...

Elle aurait dû écouter sa mère, se dit-elle alors... sans doute avait-elle raison. Elle n'était encore qu'une enfant...

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant