Le Chant du Couchant XXIII

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Kiine longeait d'un pas vif la coursive du palais d'été, sous les regards toujours aussi curieux que condescendants des membres de la cours. Les nains de Bolrev semblaient ne jamais se lasser du spectacle de cette grande femme aux cheveux plus blancs que sa peau pâle, aux teux plus mauve que les fleurs d'iniem et aux impressionnantes cicatrices. La Kesjarinna, elle, avait cependant l'esprit occupé à bien d'autres choses. Cela faisait plusieurs jours qu'elle avait réparti les tâches avec ses compagnes de voyage, mais aucune des deux équipes n'était parvenu à de résultats significatifs. Dol'taïm et Naïa avaient parcouru les abords du palais royal en long, en large et en travers sans parvenir à dégotter la moindre information sur les entrées des tunnels, et encore moins sur de potentiels guides. Quant à Lefko et Rehyan, les recherches menées à la bibliothèque étaient restées jusque là infructueuses, et cela semblait loin d'être prêt de changer. Il était difficile de mener des recherches sans évoquer leur objectif final, qu'elles tenaient à garder secret, d'autant plus sans parler la langue dans laquelle étaient rédigés tous les ouvrages. Et, pour ne rien arranger, Koulov s'était quelque peu mis en retrait depuis sa confrontation avec la Kesjarinna sur le parvis du bâtiment du conseil, ce qui laissait à la Dragonicide plus de liberté de mouvement, mais lui indiquait également que le nain ne semblait pas particulièrement pressé de lui organiser l'expédition dont elle avait tant besoin. Kiine le suspectait de la faire volontairement attendre dans le flou, autant pour se vanter auprès de la cours du pouvoir qu'il avait sur elle que pour lui faire payer sa bravade.

Kiine avait désiré mettre à execution sa menace d'aller voir ailleurs; mais, à vrai dire, elle ignorait bien à quel clan elle pourrait se fier, et elle ignorait même de quelle manière prendre contact avec eux, d'autant qu'elle se savait suivie par les agents du clan Kalamine, qui devaient rapporter les moindres de ses faits et gestes à Koulov. Pour ne rien arranger, les rêves de la Kesjarinna avaient encore empirés, probablement alimentés par son stress. Les apparitions de Yuriana étaient toujours plus marquantes, et le repos toujours moins réparateur. Au delà de la gêne du manque de sommeil et du sentiment terrible qui envahissait la bouche de Kiine lorsqu'elle se réveillait en sueur après ces rêve, la Dragonicide avait d'autres raisons de se sentir particulièrement inquiète de la prise de force de ses mauvais rêves. Elle savait depuis longtemps que les songes n'étaient pas toujours déconnectés de la réalité. Au contraire, ils pouvaient être profondément ancrés dans le mantra, et en dire beaucoup sur le monde, que ce soit son passé, son présent, voir son futur. Kiine n'avait-elle pas été hantée par de terribles cauchemars qui lui prédisaient la mort de Yuriana? Elle ne s'était plus jamais endormie sereine depuis. Le spectre la femme qu'elle aimait hantait ses songes depuis des années, désormais, mais ils étaient toujours bien plus présents lorsqu'elle restait à Yurena. Kiine en était venue à croire que le fait d'avoir nommé sa capitale en l'honneur de l'apparition cauchemardesque l'avait fait s'installer entre les murs de pierre de sa demeure. Cependant, elle était désormais à des milliers de lieues de Yurena, voir même de la frontière de l'Empire, et pourtant ses songes étaient aussi puissants que lorsqu'elle dormait dans son propre lit, là bas, au cœur de sa Taiga d'Odin natale. Ce qui ne pouvait signifier qu'une chose, selon la Kesjarinna. Le mantra essayait une nouvelle fois de lui dire quelque chose. Et l'apparition de Luxuria dans les songes ne lui faisait rien présager de bon. Cela signifiait-il que le Crépusculaire allait parvenir à la tuer? Était-il proche, à guetter le moindre de leur mouvement, attendant patiemment qu'elle le mène jusqu'à l'Okron? Pourtant, elles avaient voyagé si loin... mais leur arrivée en Bolrev ne s'était pas faite aussi discrètement qu'elle l'aurait désiré, ce qui aurait pu mettre le possesseur de Relique sur la voie. 

Kiine ne pouvait s'empêcher de craindre le pire. Elle avait fui, espérant autant protéger sa famille que trouver les réponses que devaient lui apporter l'Okron. Mais elle se trouvait désormais dans une impasse, représentée par toute la condescendance de cette Clanique bolrève qui la jaugeait de ses regards amusés, comme si elle n'était qu'une bête quelque peu exotique dans leur vie de débauche. Ressentir les vibrations légèrement étouffées des agents des Kalamine qui la suivaient de loin la rendait malade. Il fallait que quelque chose évolue, et vite. Il semblait de plus en plus évident à la Kesjarinna que placer la réussite de leur quête entre les mains de la Clanique avait été une mauvaise idée. Il leur fallait une nouvelle option. L'heure était avancée, et les autres devaient être rentrées de leurs missions respectives. La Dragonicide espérait qu'elles auraient du nouveau à lui annoncer; mais cet espoir n'était guère vif.

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant