Numinomachie III

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Yuriana souleva la tenture qui tenait fermée la tente pour s'y introduire avec discrétion. Les rayons du soleil couchant étaient incapable de franchir la barrière arborée, ce faisant l'intérieur était plongé dans une pénombre dont l'épaisseur aurait empêché quiconque de percevoir quoi sue ce soit d'autre que des formes indistinctes. Mais pour Yuriana, dont l'Ombre et la Lumière étaient des attributs naturels, tout cela n'était rien, et ses yeux pouvaient clairement voir la silhouette prostrée de Kiine, penchée au dessus du corps inconscient d'Actée. La Guerrière d'Hel fronça légèrement les sourcils en s'approchant le plus doucement possible de son amie, agenouillée devant la couche, les mains posées sur les genoux.

-Elle n'a toujours pas bougé. Dit soudain Kiine, brisant le silence.

Yuriana s'avança à ses côtés, toute discrétion désormais inutile, et vint s'assoir à ses côtés.

-Machika a dit qu'elle s'en sortirait.

Aucune réponse ne vint, et Yuriana se décida à attendre, immobile, aux côtés de la jeune guerrière. Après un silence qui sembla durer une éternité, Kiine prit cependant la parole. Sa voix se voulait concise et contrôlée, comme l'était toujours celle de son amie, mais les tremblements qui la parcouraient en disait long sur l'état intérieur de la fille de Kynareth.

-D'après ce dont nous a parlé Machika... cette Connexion... ce qui vient d'arriver à Actée ne peut signifier qu'une seule chose, pas vrai?

Ce n'était pas vraiment une question, mais une affirmation camouflée. Pourtant, Yuriana fut tentée d'essayer de la dévier.

-On ne peut pas vraiment le savoir. Le Mantra est souvent difficile à comprendre, et...

-Je t'en prie, Yuriana... la coupa Kiine avec un sourire amer. Je sais qu'une fois encore tu essaie de me ménager, tout comme tu as tenté de le faire durant mon entrainement. Je sais que tu penses bien faire. Mais... je ne suis plus une enfant. J'ai besoin de savoir la vérité. J'ai besoin...

Le hoquet de sanglot qui lui coupa momentanément la parole fit prendre conscience de ses pleurs à son amie, qui tourna un regard inquiet vers elle, et posa sa main sur la sienne.

-J'ai besoin d'être sûre... je ne veux pas... espérer quelque chose qui n'arrivera jamais. Si Actée est ainsi... c'est que ma mère est morte, pas vrai?

Yuriana sentit son coeur se serrer, alors que son amie releva les yeux vers elle, emplis de larme qui semblaient se retenir de couler. Son hésitation fut une nouvelle fois palpable. Mais elle serra sa main autour de celle de Kiine, avant de fixer son regard dans le sien.

-Oui. C'est... ce que Machika a dit aux cheffes.

La prise de Yuriana se resserra autour de la main de son amie alors que cette dernière encaissait le choc d'une révélation qu'elle savait pourtant, au fond d'elle même, inévitable. Le lac de larmes accumulées dans ses yeux ne put tenir plus longtemps et déborda, en même temps que les pleurs de l'enfant pour sa mère. La Guerrière d'Hel étendit un bras réconfortant autour de l'épaule de Kiine et l'attira contre elle.

-Merci... Yuriana. Réussit-elle tout de même à articuler entre deux sanglots, la tête posée contre l'épaule de la grande brune.

Et, pendant longtemps encore, les sanglots de Kiine déchirèrent l'obscurité nocturne, tandis qu'autour du cou d'une Actée inconsciente, gisait un médaillon désormais aussi froid que la pierre.

***

-Nous devons attendre le réveil d'Actée. Affirma Kiine.

-Puisque je te dis qu'il est hors de question que nous allions... quoi? S'étonna Yuriana.

-J'ai dit qu'avant de nous lancer dans quoi que ce soit, nous allons attendre le réveil d'Actée.

Yuriana s'interrompit et se gratta la tête. La nuit avait été longue à consoler les pleurs de son amie, et toutes deux tenaient à peine debout.

-Je pensais que tu allais proposer de nous lancer immédiatement à la poursuite des responsable pour se venger. Avoua-t-elle.

-J'en meurs d'envie. Mais... ce ne serait pas compatible avec ce que ma mère voulait pour moi. Elle m'a envoyée auprès de vous pour m'entrainer, et je ne suis pas du tout prête...

-Tu viens de découvrir le potentiel qui sommeille en toi... la rassura Yuriana d'un ton qui se voulait doux, mais collait mal avec la rudesse naturelle de sa voix. Je te promets que lorsque nous ferons face à nos ennemis, tu seras tellement forte qu'ils retourneront se terrer dans leur trou.

Kiine rit légèrement, avant de lever les yeux vers le rouge pâlissant du ciel annonçant la fin de l'aube. Les choses ne seraient plus jamais pareil, elle le savait... mais elle se devait d'aller de l'avant par respect pour tous ceux qui étaient morts. Elle ignorait où elle devait aller, l'état dans lequel se trouvait la Taiga d'Odin ou même si elle avait encore un endroit ou rentrer, mais tout cela s'évanouissait face à la nouvelle résolution de la jeune fille. Les ennemis autrefois fantomatiques et cachés s'étaient exposés à la vue de tous, et Kiine savait qu'ils devraient être détruits, ou bien ils les détruiraient.

Car ainsi en allait le monde.

***

Salbislav avança parmi les pierres noircies au feu, veillant à toucher le moins longtemps possible chacune d'elle, de peur d'être brûlé par la chaleur latente qu'elles contenaient encore. La faille était si profonde et obscure qu'on y voyait pas à deux pas, mais le chef draconiste avançait avec un air résolu, guidé par les répercussions des vibrations du mantra sur les parois. Un puissant souffle brûlant remontait régulièrement des profondeurs, gênant son avancée, mais ne diminuant pas sa détermination. C'est là, dans le coeur même des Monts d'Alduin, qu'il trouva ainsi Numinex, somnolant dans l'immense caverne de l'ancien temple Draconique en ruine. Salbisav déglutit en découvrant une nouvelle fois l'apparence terrible de son maître. Depuis qu'ils avaient quitté les froides contrées du nord, le grand Dragon Rouge semblait gagner chaque jour en force et en taille, comme s'il recouvrait ses forces en retournant sur la terre de ses pairs... ses yeux rougeoyants luisaient, quand ils étaient ouverts, d'une lueur terrible et sanglante. Ses longues écailles écornées, ses morceaux de chair arrachés, son allure filiforme et décharnée additionnés à son impressionnante taille lui donnaient un aspect terrible.

Salbisav calma les battements de son coeur.

-Seigneur.

Sans même prendre la peine d'ouvrir les yeux, les grand Dragon laissa sa voix profonde résonner dans la grotte et secouer jusqu'au tréfonds de l'âme du Chef Draconiste.

-Rends toi au sud ouest, dans une région emplie de Chaos. Je peux sentir sa puissance d'ici, et ce que nous cherchons s'y trouve sans le moindre doute.

-L-La forêt de Brocéliande?

-Rapporte moi toutes les Reliques que tu y trouveras, et ainsi le règne des Dragons pourra reprendre.

Salbisav hésita.

-Nous n'avons pas besoin d'autres Reliques, Seigneur. Les Nordiques n'usent pas du mantra, et la mienne est largement suffisante.

Salbisav parvint à finir sa phrase malgré le grondement qui raclait la gorge du Dragon à ses paroles.

-Ferais tu passer tes ambitions de pouvoir avant mes désirs, mortel?

-B-Bien sur que non, Seigneur.

-Tu n'es pas capable de saisir toute la puissance du Chaos qui est pourtant à ta portée, Salbisav... tu considère ta Relique comme un simple outil, et tant qu'il en sera ainsi, tu resteras un pion remplaçable.

Salbisav fut touché profondément par la remarque du Tyran Ailé, et ce dernier le savait parfaitement.

-Vois-tu, Salbisav, tu es incapable de voir plus loin que ta petite vision d'humain étriquée. Pour que les Dragons parcourent à nouveau les cieux, j'ai besoin de la puissance des Reliques... mes ordres ne sont pas négociables.

L'esprit puissant du Dragon pénétra avec violence l'esprit du Chef, lui faisant payer son insubordination par une douleur dépassant toute compréhension. Quand il se retira enfin, seule la détermination de Salbisav et la puissance de sa Relique lui permirent de se relever pour s'éloigner d'un air vide.

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant