Le Destin du Kesjare XXIX

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Le feu embrasait encore les arbres morts et les cadavres calcinés, bien que la pluie vienne atténuer ses flammes dévorantes et douloureuses. Les corbeaux, corneilles et vautours tournaient en longs cercles, attendant que le danger de voir leur plumes brûlées soit éloigné pour venir se repaître du festin de chair humaine qui les attendait en contrebas. Et ils avaient raison; car personne ne vint chercher les corps. Aucun guerrier ne sacrifia son temps de repos pour donner à ses camarades tombés au combat les rites qu'ils méritaient. Cette guerre n'avait rien de semblable à toutes celles menées auparavant: c'était un immense combat entre empires, un conflit d'une ampleur telle qu'on en avait jamais vu de tel, dans une région où la grande majorité des guerres impliquaient quelques cités ou tribus seulement.

Mais cette guerre n'avait rien de tel. La peur et la haine dévorait chacun des deux camps, poursuivis par un ressentiment profond et ancré dans l'histoire et l'éducation. On avait appris aux guerriers d'Hel à haïr les Odiniens. On avait affirmé à ces derniers que les premiers étaient des ordures pratiquant la magie draconiste. Et cette haine réciproque ne faisait que prendre plus racine dans ces batailles continuelles et si mortelles qui décimaient chacun des deux camps.

Deux sentinelles Heliennes discutaient silencieusement, en contrebas du charnier où la bataille avait eu lieu. Comme elles l'avaient déjà fait quelques minutes plus tôt, elles jetèrent des torches sur les corps les plus proches, espérant ainsi que le feu se propage au reste des cadavres et leur fournisse un rite de fortune, avant que les charognards ne se repaissent de leur chair. Malheureusement, les lourdes gouttes empêchaient cela d'arriver, et les deux guerrières jurèrent tout en grelottant, enroulées dans leur larges capes.

-Foutus impériaux. Grinça la première, dont la moitié du crane était rasé. On a beau les tuer, il en reviens toujours. Ça n'en finira jamais!

-On raconte que Geldr est tombée, au nord, mais ne le répète à personne. Répondit la seconde, appuyée sur un arbre mort. Les cheffes tentent d'étouffer les mauvaises nouvelles...

-Geldr? S'étrangla la rasée. Ils sont avancés si profondément? C'est à peine à quelques jours d'Hel!

-J'ai bien peur que ce combat soit de ceux qu'on ne peut pas gagner. Soupira la première. Nous les avons retenus un jour de plus ici, mais à quel prix?

-Ne dis pas de bêtises. Je suis sûre que nos cheffes savent ce qu'elles font.

-Peuh! Elles sont trop occupées à se chamailler... foutue Suriana. Toujours à tenter de tirer son épingle du jeu.

-Elle serait probablement une meilleure dirigeante que cette vieille peau de Machika.

-Tu rigoles? Si elle parvient à obtenir le commandement des troupes heliennes, tu peux être sûre que tous les hommes déserteront pour rejoindre Orgnar.

-Quels traitres...

-Si j'étais l'un d'eux, j'en ferais autant. Grogna la rasée. Me battre pour défendre ma liberté, oui. Mais si c'est pour savoir qu'à la fin de la guerre ma tête finira sur une pique, je dis non.

-Les hommes doivent simplement apprendre où est leur place, et tout ira bien pour eux. Rétorqua la seconde. Cheffe Suriana sait faire preuve de bonté et de reconnaissance. Ce n'est pas pour rien qu'elle est la soeur de Yuriana, après tout.

-Par tous les dieux, on aurait bien besoin de la Guerrière d'Hel pour calmer toutes ces vieilles peaux. Soupira la rasée. Puissent Yuri et Himlen la protéger...

-À qui le dis tu... et... hey, qui va là?

Les deux guerrières se levèrent comme une seule femme et tirèrent leurs armes vers la silhouette sombre qui avançait à travers le champs de bataille, lentement.

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant