Le Chant du Couchant VII

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La noirceur. L'obscurité. L'odeur d'humidité et de renfermé. Le bruit lointain de gouttes d'eau, venant briser le silence absolu de leur régulier clapotement sur la surface d'un lac invisible, et résonnant longuement dans l'espace qui les accueillait en son sein. Était-ce une grotte? Un autre monde? Kiine l'ignorait. Mais une présence tapie dans l'ombre semblait l'y attendre, guettant le moindre de ses faits et gestes. La Kesjarinna se tint droite, le regard durcit, et laissa sa main glisser à sa ceinture pour saisir son arme. Cependant, elle ne sentit rien jusqu'à ce qu'une main se pose le long de sa nuque et qu'une voix vint murmurer à son oreille des mots qui lui scièrent le coeur.

-Tu m'as tuée, mon amour... tuée...

Kiine resta immobile. Encore, et toujours le même rêve. Peu importait l'environnement qu'il faisait apparaître, le contenu restait le même. Et encore, Yuriana revenait hanter les rêves de la femme qui l'avait aimée. Un frisson glacé parcourut son échine, alors qu'une nouvelle fois, les larmes lui montèrent aux yeux.

-Tu n'es qu'un rêve. Répondit-elle simplement, laconique.

-Mais les rêves ne sont pas dénués de sens, n'est-ce pas? Susurra la voix déformée de la Guerrière d'Hel. Tu le sais bien, Kiine... après tout, ils t'ont avertis pendant des mois de ce qui allait arriver...

-Laisse moi! Tu es morte! Rien ne pourra te faire revenir!

-Rien... vraiment rien...? Pourtant, tu tente désespérément de me remplacer, Kiine... de me faire disparaître...

-Je veux que tu cesse de me hanter! S'exclama la Kesjarina en se défaisant de l'emprise froide du spectre onirique.

Le visage magnifique de Yuriana s'offrit à elle. Mais il était blanc, froid, dénué de toute vie et expression. Ses yeux vides la fixaient sans la voir, tandis que ses longs cheveux noirs ondulaient dans l'obscurité, se confondant avec celle ci tels des serpents couleur obsidienne tentant d'échapper à l'emprise de leur maitresse. La lente mélopée de sa plainte commença à s'estomper tandis que son image se dissolvait lentement dans l'obscurité irréelle qui l'entourait.

Une nouvelle fois, le spectre de Yuriana disparaissait dans les méandres torturés de l'esprit de la Kesjarinna, la laissant seule et pantelante dans cet univers obscur qui constituait son rêve. Mais elle ne se réveilla pas pour autant. Tremblante, la fille de Kynareth releva lentement les yeux, et fixa une étrange lueur qui semblait être apparue de nulle part dans l'obscurité lointaine. Intriguée, mais toujours figée, elle ne put esquiver un mouvement, et resta donc absolument immobile, craignant le retour du fantôme tourmenteur.

-Réveille toi... se murmura-t-elle. Réveille toi...

Un hurlement de rage résonna soudain dans l'obscurité, et se répercuta longuement en un écho qui vrilla les tympans de la Kesjarinna, qui se retourna en pointant son épée dans la direction d'où le hurlement était provenu. Elle n'eut le temps d'entrevoir son ennemi qu'une fraction de secondes, lorsqu'il se jeta sur elle telle une bête sauvage.

Elle ouvrit les yeux. Face à elle, la haute voute en pierre et les tapisseries ornant sa chambre à coucher. Tout contre elle, la tête posée sagement sur sa poitrine, se trouvait Anna, avec ses cheveux blonds platine, son visage en coeur, et son expression apaisée malgré les cernes de fatigue qui la marquaient. La dernière des compagnes de la Kesjarinna dormait paisiblement contre son sein, telle une bienheureuse, mais cette vision fut insupportable à Kiine qui, dans le brouillard du réveil, avait un instant cru qu'il s'agissait de Yuriana. Elle étouffait. Le poids de cette tête semblait l'empêcher de respirer, lui peser si fort sur la cage thoracique qu'il lui en faisait mal. Les draps l'emprisonnaient, l'obscurité nocturne la révulsait, tout semblait l'oppresser. Tout lui semblait insupportable.

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant