Epilogue

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Oyez, oyez, braves gens et gentes dames, car c'est ici et ainsi que se conclut l'épopée vibrante de notre bien aimée et Grande Kesjarinna, Kiine, telle qu'elle me la compta pour que je la couche sur papier, et qu'à jamais son souvenir soit chanté par les skaldes au travers de forêts et plaines, déserts et montagnes; afin que jamais personne n'oublie la vie de cette Kesjarinna, de cette Dragonicide, qui vint à bout des menaces pesant sur ce monde tout en ayant, malgré elle, mené de nouvelles à se réveiller. 

Il me serait bien évidemment facile de conclure ainsi tel récit, de laisser à votre douce imagination le plaisir de penser la douce vie que mena la Kesjarinna par la suite, dans la magnifique ville qu'elle avait fait bâtir en l'honneur de son grand amour perdu, de vous laisser croire qu'elle s'éteint paisiblement à un grand âge, paisiblement et dans son lit, entourée de tous les siens. Il me serait aisé de le faire et, ainsi, de respecter les volontés de ma souveraine, qui, tandis qu'elle me contais avec passion les affres de son existence, me demanda de conclure mon récit lors de son retour définitif, à Yurena, en l'an 1192 de l'ère d'Emergence. Selon ses propres dires, cette date coïncidait avec la fin de sa légende, la fin de sa quête effrénée pour sauver le monde, puis pour se sauver elle même. Et, en tant que sujette de la Grande Kesjarinna, je ne puis qu'obéir à ses demandes, en passant sous silence le reste de sa vie, afin de laisser au lecteur le plaisir de consulter registres et grimoires d'Histoire pour s'y renseigner. 

Cependant, en tant que fille de cette même Kesjarinna, ayant son sang maudit coulant dans mes veines, il m'est impossible, et impensable, d'interrompre ainsi le récit, sans réelle conclusion, aussi insatisfaisante et triste soit-elle. Je ne puis tout bonnement vivre en imaginant que la vie de cette magnifique femme que j'eus le bonheur de pouvoir appeler Mère, se limita aux 28 premières années de son existence. Je me dois donc, et ce malgré ses vœux, d'évoquer en ces lignes les à la fois courtes et longues dix dernières années de la vie bien remplie de ma délicieuse parente. 

Car la Source tint parole; dix années durant, la paix régna dans ce monde qui semblait pourtant retenir son souffle. Ces dix années furent, et je repense encore souvent à celles-ci, les plus belles de mon encore bien courte existence. La Kesjarinna, qui fut auparavant une Mère aussi absente que put l'être son propre père avant elle, s'installa définitivement à Yurena, pour n'en ressortir qu'à de très rares occasions, durant lesquelles il lui arrivait de nous emmener, ma sœur et moi, puisque nous étions les plus âgées de notre nombreuse fratrie. Elle semblait moins froide, plus douce, et surtout particulièrement attentionnée à l'égard autant de nous et de nos petites sœurs, que de sa compagne, ses amies ou ses sujets. Elle fut, je dois le dire, la meilleure des mères, contrairement à cette phrase qu'elle me prononça lors de son retour d'Helljarchen, lorsqu'elle m'appris le décès de ma mère. Et je ne puis attribuer son changement à autre chose qu'à sa dernière enfant, notre petite sœur chérie et adorée, qui fut nommée du nom de Thorn. Je n'ai pas eu le bonheur de connaître Yuriana, l'amour éternel de ma mère, et j'ai tenté de retranscrire ses descriptions au mieux dans mon œuvre, d'après les descriptions enflammées que m'en faisait ma mère. Mais je savais en voyant la manière dont elle la regardait que Thorn en était le portrait craché. Elle avait les aussi beaux que maudits yeux mauves de la Kesjarinna, mais les longs cheveux de geais de Yuriana. Elle était têtue, souvent renfrognée, mais également terriblement courageuse, et, souvent, bien trop sensible. 

Je peux le dire, et il m'est important de préciser que cette phrase ne comporte aucune animosité, que Thorn était, de nous toutes, la fille préférée de ma mère. Elle fut la seule dont elle se chargea intégralement de l'éducation, éloignant jalousement toute aide, et la couvant de tout son amour, de toute sa bonté, mais aussi de la sévérité dont elle était capable. Cela ne signifia pas que nous autres furent mises sur le côté; mais il était évident que Thorn tenait une place particulière dans le cœur de notre mère, et qu'elle était la seule enfant qu'elle avait porté seule. 

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant