Les rues boueuses. Les murs couverts de suie. Les habitants avançant lentement, le dos vouté, le regard baissé. La puanteur mêlée de défécations et de brûlé. Et cet brume noirâtre omniprésente, piquant les yeux de Dol'Taïm. Tout de Lenkaro était pourri et sale, à l'exception du Palais Royal, de cette ville dans la ville, coupée du monde derrière ses énormes murailles. Tout le temps que la Keshiane avait passé dans les ruelles de Lenkaro, à chercher le moindre indice pouvant la mener aux souterrains, le moindre guide, la moindre indication, lui avait appris que cette immense enchevêtrement de ruelles immondes et de baraques bancales appelé ville n'avait nulle part de beau ou de plaisant. Tout n'était que grisâtre et triste monotonie, ainsi qu'une omniprésente et insidieuse odeur d'alcool fort, se glissant sous les senteurs de brûlés et de déjections qui empuantissaient l'air. Dol'Taïm, comme tous les Keshians, avait un odorat particulièrement développé, et avait grandement souffert de ce trop plein d'odeurs nauséabondes. Naïa, qui l'accompagnait, n'était pas mieux lotie, et ce depuis leur première sortie. Elle semblait affaiblie, rappelant à la Keshiane les années qu'elles avaient passées dans l'obscurité de Brocéliande. La Nymphe qu'était Naïa avait besoin du Soleil, pour être en bonne santé, probablement en lien avait sa descendance végétale. A l'époque, plusieurs heures par jours étaient dédiées à trouver une des rares clairières de la forêt maudite, pour permettre à Naïa de récupérer. Mais, à Lenkaro, c'était cette brume noirâtre qui l'affaiblissait. Les rayons du Soleil semblait à peine y percer, s'y diffusant et s'y diluant comme dans une mélasse respirable.
Les deux enquêtrice de fortune avaient découvert la source de cette brume et de l'odeur omniprésente de fumée qui l'accompagnait. Les quartiers sud de Lenkaro étaient remplis d'immenses manufactures vers lesquelles les habitants semblaient presque tous converger le matin. D'immenses cheminées les ornaient, desquelles était crachée une fumée noire et opaque qui, au lieu de s'évaporer haut dans le ciel, stagnait dans la cuvette où était bâtie la ville. Dol'Taïm ignorait d'où provenait cette fumée, et ce qui était fabriqué dans ces manufactures. Elle savait simplement que l'odeur provenait de là, et que les nains qui y allaient semblaient en ressortir encore plus épuisés qu'ils y étaient rentrés le matin, aux aurores. Et toujours aucune trace d'entrée vers les souterrains. Les deux femmes ne passaient pourtant pas inaperçues, quand bien même elles l'auraient désiré. Lenkaro n'était pour ainsi dire pas une cité cosmopolite, et, si la présence d'une nymphe était déjà exceptionnelle pour les habitants, aucun d'eux n'avait déjà vu de Keshian de leur existence. Pourtant, les habitants semblaient chercher à les éviter, à ne pas croiser leur regard ou leur route, bien loin des regards curieux et condescendants des Claniques du Palais Royal. Dans ces conditions, en plus de la barrière linguistique, Dol'Taïm désespérait de trouver quoi que ce soit, et sa rancoeur envers la Kesjarinna ne faisait que grandir. C'était elle qui les avait entrainées ici, où elle perdaient du temps dans des intrigues de cours au lieu de rechercher l'Okron. Dol'Taïm ne pouvait effacer de sa mémoire l'immonde apparence du Logophage, terré au fin fond de sa Bibliothèque maudite. Elle n'oubliait pas non plus ce qu'elle avait vu, au cœur de Brocéliande. Ce qui arrivait à ceux qui ne remplissaient pas leurs obligations envers l'Abyssal. Elle en était terrifiée. Elle craignait, chaque instant, que l'échéance ne s'abatte sur Lefko. Peu lui importait les Nains, les Dieux et les Crépusculaires. Tout ce qui lui importait, c'était que la femme qu'elle aimait échappe aux griffes du démon en remplissant sa part du marché. L'opaline avait mis sa propre vie en gage pour permettre aux quatre compagnes d'obtenir le pouvoir de survivre à Brocéliande, même si cela signifiait perdre une part de leur humanité. Il était hors de question qu'elle paie ce service de sa vie, parce qu'une Kesjarinna qu'elle connaissait à peine jugeait bon de s'impliquer dans la politique d'un Royaume lointain et inconnu.
Dol'Taïm était particulièrement affectée par le fait que Lefko ne lui adresse plus la parole, depuis que sa dispute avec Rehyan les ait poussées à choisir Naïa pour sortir des murs. Rehyan était trop aveuglée par son admiration pour la Kesjarinna pour réaliser à quel point cette dernière les envoyaient dans le mur. Et Dol'Taïm refusait de passer ses journées en sa compagnie unique. Mais, au vu de la réaction de Lefko, qui la blessait terriblement, elle aurait pu accepter de réviser son jugement et de souffrir l'ancienne fille fleur ne serait-ce que pour pouvoir de nouveau se lover contre la poitrine nue de son amante le soir. Dû moins, elle l'aurait fait si elle ne savait pas que Rehyan, elle aussi, était particulièrement butée, et refuserait de faire équipe avec elle.
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La Légende de Kiine
FantasyUn mal ancien rode. Alors que les Nordiques, pour deuxième fois de leur histoire, ont soumis toutes les tribus et le monde connu sous leur bannière, des signes inquiétant viennent troubler Orgnar, demi frère de l'Empereur, ainsi que Kynareth, guerri...