La Légende de Kiine

Chant d'Orgnar I

-Tu es un ignare, Orgnar. Affirma Balta dans la Grande Salle de la Maison d'Inam, et nombre de ses lieutenants ricanèrent à ses mots.

-Ce que je dis n'est que logique, mon frère. Répondit Orgnar sur la défensive. Avant de continuer à avancer dans nos conquêtes, il nous faut d'abord sécurisé nos arrières, c'est à dire dominer l'ensemble des territoires frontaliers à la Taiga d'Odin.

-Arrête ton char, Orgnar. Tu veux que j'envoie mes troupes envahir les Monts d'Alduin, avoue le.

-Je ne le nie pas, mon frère. C'est une région très proche de nous et habitée également par des Nordiques. Si tu leur tourne le dos, ils pourront tenter de prendre à revers et de te planter une dague entre les omoplates.

Balta, assis sur son imposant trône en bois massif, eut un rire dédaigneux. Il était grand et fort, et aimé de ses soldats et des ses sujets. Une aura de gloire et de puissance l'enveloppait déjà, et certain disaient qu'il était peut être un Sjael, un demi dieu, puisque seule l'identité de son père était connue. Il avait pour habitude de siéger dans la Maison d'Inam, lieu où, assis sur son trône posé à même le sol, il écoutait les réclamations de ses sujets et de ses pairs, tout en étant assis à leur niveau. Ce n'était pas une preuve d'humilité que de s'assoir au même niveau que ses sujets alors que c'était lui, le Kesjare, l'Empereur. Balta était simplement très intelligent. Il connaissait la nature des Nordiques, farouchement indépendants et tenant plus que tout à leur honneur. En s'asseillant plus haut qu'eux, il risquait de s'attirer les foudres d'un bon nombre d'entre eux.

Balta avait des cheveux noirs comme le jais et des yeux gris comme la pluie. Son visage était plus fin que large, contrairement à une grande partie de ses pairs nordiques, et sa barbe était taillée. Ses manières et son habitude de prendre soin de son corps faisait de lui la cible régulière de moqueries, et on le traitait d'Ephèbe, comme ces hommes et ces femmes des régions du Pont qui passaient plus de temps à se coiffer le matin qu'à travailler la journée, selon le stéréotype répandu chez les Nordiques. Balta n'en avait que faire. Cultiver son apparence était également un moyen d'assoir son pouvoir. En plus de son aura de prestige, il jouissait ainsi d'une apparence des plus agréables, ce qui facilitait souvent les choses dans un peuple comme celui des Nordiques. Odin, son prédécesseur, était connu pour sa préférence envers les hommes, et n'avait eu d'enfant avec une femme que pour assurer sa descendance. Balta voulait jouer plus intelligemment, en se laissant à la fois attirer par les hommes et les femmes, qu'ils soient dans son armée ou non. De cette manière, il pouvait s'assurer la fidélité d'un grand nombre de chefs, qui seraient prêt à beaucoup pour partager sa couche ne serait-ce qu'un soir. Sa beauté et la cultivation de son apparence étaient donc deux armes pour Balta.

Orgnar, lui, avait été moins gâté par la nature. Fort et bourru comme une grande partie des Nordiques, il était encore imberbe et ses cheveux longs et blonds n'avaient rien d'incroyable parmi un peuple où c'était la norme. Il était cependant plus petit que la moyenne des habitants de la Taiga d'Odin, et souffrait d'une difficulté excessive à s'imposer. Son jeune âge, 16 ans à l'époque, contre les 26 de Balta, faisait également de lui une cible facile pour son frère. Orgnar jouissait cependant d'une grande lucidité, que Balta ne réussissait parfois pas à avoir malgré son intelligence. Il savait, par exemple, voir un danger là où son frère ne voyait que des monts peuplés de quelques tribus éparses.

-Mon petit Orgnar... susurra Balta avec ironie. Les habitants des monts d'Alduin ne sont pas de vrais Nordiques. Ce sont des bannis, des traitres, des adorateurs des Dragons. Ils nient le culte des Edas, nos Dieux, pour louer ces immondes lézards volants, enfants des démons les plus infâmes de l'histoire. Himlen m'en soit témoin, sur le sang des dragons qu'elle a elle même tué, que jamais je ne mettrais un pied sur cette terre maudite des adorateurs de Dragons. Ne devrait tu pas savoir ce qu'il en est, petit frère? Après tout, c'est ton ancêtre Dovah qui a chassé là bas le culte Draconique... aurais-tu peur qu'ils viennent te chercher pour quémander ainsi l'aide du Kesjare? Comme c'est mignon... mais va, maintenant. Je n'ai pas de temps à perdre avec tes jérémiades, j'ai un empire à gérer et à agrandir.

Rouge jusqu'aux oreilles de honte, Orgnar sorti de la Maison à toute vitesse. La Maison d'Inam était une grande bâtisse de bois, avec un toit très pentu comme toutes les maisons nordiques, et flanqué d'un tour. C'était le plus grand bâtiment de la Tribu d'Inam, qui était pourtant une des tribus les plus importantes du monde Nordique malgré sa fondation assez récente -elle avait moins de 50 ans d'existence.

Orgnar couru en silence à travers les rues de la petite ville jusqu'à en franchir la limite, et s'enfonça dans la forêt jusqu'à la falaise donnant sur la pointe d'Ulti. La longue péninsule boisée, aux limites de la Taiga d'Odin, était cerclée par l'Ormia, une longue rivière. Au loin, à l'horizon, on pouvait apercevoir les cimes enneigées des Monts reculés. La tribu d'Inam, du sommet de la haute colline sur laquelle elle était installée, permettait d'avoir une vue d'ensemble sur la région.

-Moi, je pense que tu avais raison. Dit une voix dans le dos d'Orgnar.

Ce dernier sursauta et se retourna à toute vitesse, dégainant à moitié son épée de son fourreau. Mais face à lui, se trouvait une femme. Une guerrière de l'armée de Balta, qu'Orgnar avait repérée plusieurs fois. Son visage franc et parsemé de tâches de rousseur était encadré par de longues mèches rousses rebelles. Ses yeux verts étaient perçants et brillaient d'une profonde intelligence. Elle était vêtue d'une cuirasse en fer forgée d'un renard au creux de sa poitrine, le tout enroulé dans un grand manteau de fourrure marron. Une hache de guerre était pendue à sa ceinture. Orgnar déglutit.

-Je ne me suis pas présentée. S'excusa la jeune fille. Je suis Kynareth, fille d'Elmar, de la tribu de Boromivir.