Chant de Kynareth II

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-Elpa! Elpa! Lève toi!

-Laisse moi dormir, Kiine... grogna la petite fille en s'enfonçant plus profondément sous les couvertures.

-Mais père est revenu!

-Je me fiche de père! Depuis combien de temps n'est-il pas rentré au juste? Quelques minutes de plus ou de moins n'y changeront pas grand chose.

Sur ces mots hargneux, Elpa s'enfonça si profondément sous ses draps que seule le haut de ses cheveux en sortait.

-Mais... il sera triste si tu ne viens pas... tenta alors Kiine.

-Qu'il se demande si je ne suis pas triste quand il part pendant 6 mois sans donner de nouvelles à maman...

Kiine comprit qu'elle ne pourrait pas changer l'avis de sa soeur, et ressortit donc silencieusement de leur chambre commune en faisant le moins de bruit possible. Puis, sans attendre une seconde de plus, elle s'élança dans la grande pièce principale parsemée de longs et épais piliers de bois sculptés, qui formaient comme une immense forêt pour la petite fille slalomant joyeusement entre eux jusqu'à la porte d'entrée. La rue principale était emplie de la plupart des habitants de la tribu, ce qui signifiait qu'on avait tout de même encore largement la place de s'y mouvoir surtout si, comme Kiine, on était petite et connue de tout le monde.

-Oh, c'est Kiine! Allez, va vite attendre ton père à l'entrée.

-Laissez la passer! Orgnar menait les troupes, après tour, sa fille a bien le droit d'être au premier rang.

Kiine savait qu'elle ne devait pas se laisser sentir grandie par toutes ces attentions, mais il étzit difficile pour elle de retenir un grand sourire de fierté et de bomber le torse, à ce moment précis. Elle se faufila ainsi au milieu de la petite tranchée que la foule lui laissa afin d'arriver au premier rang, là où les guerriers de retour s'entassaient. Comme la période n'était pas aux grandes guerres, seule une minorité des combattants étaient partis six mois plus tôt, expliquant pourquoi le village était encore si plein.

Kiine remarqua immédiatement les longs cheveux blonds de son père au milieu de la cohue, et se jeta sur lui à peine avait-il posé un pied à terre.

-Ooola, doucement ma princesse. Comme vous avez grandi! Ne voulez vous pas attendre que j'ai pris un bain avant de vous jeter contre moi?

-Mais ça fait trop longtemps! C'était bien la guerre? Tu as gagné? Tu as eu peur? Tu m'as rapporté quelque chose?

-Tant de questions pour un si petit être!

-Je suis pas petite! Je suis grande! Je peux porter le casque de maman sur ma tête!

-Eh bien! Voilà une grande avancée, j'espère que tu es aussi douée aux autres arts qu'à celui du portage de casque... quant à tes questions, les réponses sont oui, oui, un peu, et oui.

Les yeux de la petite fille s'illuminèrent quand elle compris que son père lui avait rapporté quelque chose de sa longue campagne. D'un geste théâtral, Orgnar montra du doigt la monture suivant la sienne, et qui lui était attachée par une longue corde. C'était un magnifique cheval d'une blancheur de nacre, dont la longue crinière ondulait en tombant le long de sa nuque. Et, sur son dos, se tenait, droite, fière et pâle, une jeune femme aux traits si fins qu'on en eut jamais vus pareils dans la région, et dont les interminables cheveux couleur azur semblaient onduler de manière surnaturelle malgré l'absence de vent. Ses yeux aussi verts que l'herbe printanière des plaines des Mines portaient un regard posé et détaché sur tout ce qui l'entourait, tandis que, sous son épaisse chevelure, pointaient horizontalement deux oreilles d'une forme que Kiine, tout comme tous les autres habitants de la tribu, n'avait jamais vue. Elle portait une tenue fine laissant entrevoir tout de ses formes et de la pâleur de sa peau, dont seule la présence d'un noir collier de fer venait salir la blancheur.

-Père, est-ce une déesse?

-Non, ma fille, c'est un butin de guerre saisi aux rebelles de la région du Pont que nous avons vaincus.

-Un butin? Mais c'est une dame!

-Les habitants de ces régions ont des coutumes différentes des nôtres, ma fille. Là bas, un être intelligent peut se monnayer et se posséder. Et l'être que tu vois sur ce cheval n'a rien d'humain... c'est une Nymphe, une habitante des immenses forêts du sud-est, loin au delà du Golfe du pont et des baronnies. Et maintenant, c'est notre servante.

-Elle s'appelle comment? Lui demanda la jeune fille, toute excitée, incapable de quitter l'étrangère des yeux, et incapable de voir l'embarras de son père qui n'avait pas vraiment la moindre idée de la réponse à donner à cette question.

-Il te suffit d'aller lui demander, non? Fit la voix chaude et chantante de Kynareth, venant de fendre la foule pour venir accueillir son compagnon.

-Kynareth... ma renarde... comme tu m'as manquée. Lui susurra Orgnar en la prenant avec force dans ses bras.

-Toi aussi, mon rayon de miel... ces mois m'ont semblé durer une éternité loin de toi, mais débusquer les cellules de résistance dans les villes du Pont m'a pris un temps fou. La fourberie des gens de la bas ne cessera jamais de m'étonner, et je n'ai pas mené une seule vraie bataille. Seulement arrestations, exécutions, combats de rue et interrogatoires, tout en évitant les tentatives d'assassinat, poisons, et j'en passe...

-Ton amour pour les cultures du Pont semblent en avoir souffert. Fit-elle remarquer ironiquement.

-Je reste admiratif de la complexité de leur culture et de la beauté de leur architecture! Repartit-il. Mais y venir en conquérant est une chose bien difficile, et ils semblent décidés à considérer que Balta prend trop de liberté avec le traité.

-Il a épousé la fille du chef de l'Alliance, pourtant... et Balta II, son fils et successeur, porte donc également le sang et la culture de cette région.

-C'est exact, mais les Miniens et les Pontois sont comme nous... ils vivent en cité, et sont farouchement attachés à leur indépendance. L'Alliance s'est formée il y a plus de 20 ans maintenant, et bien que notre traité avec elle lui ait permis de vaincre la Coalition adverse, beaucoup de cité de l'Alliance considèrent désormais l'existence de ce traité comme absurde puisqu'il n'y a plus d'ennemi à combattre, et revendiquent donc de se libérer de l'influence de la cité de Belle-Mine, et donc de la notre.

-Je n'avait pas réalisé que la situation était si tendue... fit remarquer Kynareth.

-Elle pourrait être pire.

-Oui, il n'y a toujours pas eu de soulèvement général.

Pendant que le couple profitait de ses retrouvailles en parlant politique, Kiine s'approchait lentement, à pas mesurés et sans la quitter des yeux, de l'étrangère aux cheveux azur et aux longues oreilles. La concernée, toujours occupée à détailler ce nouvel environnement, semblait ne lui accorder aucune importance. Arrivée au pied du cheval, la petite fille resta figée, la bouche grande ouverte, à contempler la première non-humaine qu'elle n'ait jamais vu.

L'esclave finit par remarquer la petite fille, et daigna lui accorder un long regard.

-C'est vrai que tu es pas une déesse? Demanda la petite fille.

Les minces sourcils de la belle nymphe se relevèrent d'étonnement.

-Non, je n'ai pas cette honneur.

-J'aime beaucoup tes cheveux. Tu es très belle. Tu t'appelles comment?

Un petit sourire vint s'infiltrer dans l'expression figée de la nymphe.

-Actée. Je m'appelle Actée.

-Père m'a dit que chez toi c'est très loin, alors pour que tu sois pas trop triste je vais tout faire pour qu'ici, tu soi chez toi! D'accord?

-J'en prends bien note, petite humaine. Je m'en remets à ton hospitalité.

La Légende de KiineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant