Chapitre 5

313 46 71
                                    

Mon désir de calme fut annihilé dès que j'ouvris la porte de la salle de classe, où je tombai sur Eva, la tête posée dans ses bras croisés sur sa table. Elle leva les yeux dès qu'elle m'entendit entrer et elle sembla soulagée en me reconnaissant. Je m'interrogeai aussitôt : À qui s'était-elle attendue ? Je posai ma mallette à mon bureau et m'approchai d'elle, surpris de la trouver là.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu ne devrais pas être dehors à profiter un peu du soleil ?

Elle haussa les épaules tandis que je retournai une chaise et m'installai face à elle, à sa hauteur. Elle rougit et je retins un soupir quand mon cœur s'affola. Je ne devais pas me laisser attendrir, j'avais des remontrances à lui faire. J'avisai ses poignets fins et lâchai, accusateur :

— Tu ne manges plus du tout à la cantine ou c'est une idée ?

Ma proximité paraissait la rendre mal à l'aise. Étaient-ce ses sentiments ? Ou bien le fait que je sois un homme ? Cette possibilité m'arracha une grimace.

— Ça dépend des jours..., avoua-t-elle, me ramenant à notre conversation.

— Ça dépend si Chloé Jaillard est dedans ou pas ? devinai-je.

Elle pinça les lèvres et hocha la tête, incapable de me mentir.

— Elle est demi-pensionnaire, donc tu manges au moins le soir, non ? m'inquiétai-je soudain.

— Des fois, soupira-t-elle. Quand j'ai faim.

— Sais-tu que tu es rachitique ? craquai-je.

Elle fit une moue étrange tandis que ses yeux s'humidifièrent et je me reprochai mon ton désapprobateur. Elle n'y était pour rien, elle ne méritait pas mes reproches.

— Je... Je ne me rends pas compte.

J'imaginais bien que non. J'avais mal de la voir s'infliger ça, même si je ne pouvais que comprendre. Avant de passer à l'acte avec les médicaments, elle s'était lentement laissée dépérir. Je n'osai pas me souvenirs des raisons de son mal-être, au risque de perdre mon sang-froid à nouveau et elle leva les prunelles vers les miennes. Je désirai tant la voir sourire à nouveau ! Je poussai un soupir las et fit une grimace.

— Ce soir, j'appelle ton père pour lui donner rendez-vous, en ta compagnie, vendredi midi.

— Vous... Vous allez lui dire ? articula-t-elle, inquiète.

— Pas au téléphone, précisai-je avec douceur. Je préfère que tu sois là, avec lui, pour lui parler de tout ça.

— D'accord...

Elle enfouit de nouveau son visage entre ses bras, se dissimulant à ma vue et mon cœur se serra. Quelle épreuve pour elle se devait être de devoir parler de ça à son père ! Je ne l'avais jamais rencontré, même pendant la soirée parent-prof, à laquelle il n'avait pas pu assister, alors je ne savais pas à quoi m'attendre de cet homme. J'espérais seulement qu'il serait compréhensif et au moins aussi furieux que moi.

— Ne t'en fais pas, soufflai-je.

Je ne pus m'en empêcher, je lui caressai gentiment les cheveux dans un geste rassurant.

— Tout va bien se passer.

Elle ne répondit pas et je l'imaginais trop bien se torturer les méninges, appréhendant cette entrevue avec angoisse. Je la plaignais intérieurement. Elle qui avait vécu l'horreur, voilà qu'elle devait le revivre en répétant ce qu'elle m'avait déjà rapporté. Elle devait me détester de lui faire subir tout ça.

— Veux-tu lui téléphoner d'abord, afin de préparer le terrain ? l'interrogeai-je, inquiet.

Elle se redressa lentement et sembla frissonner en plongeant son regard dans le mien.

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant