Chapitre 82

99 24 9
                                    

Tout le week-end, je préparai le dossier d'Eva en vue de notre rendez-vous avec la directrice de l'école. Ses notes, les appréciations de mes collègues, mes notes personnelles, je lui tapai même une lettre de recommandation. Je ne laissai rien au hasard, montant un dossier irréprochable, qui mettait en valeur ses capacités dans le laboratoire, mais également dans les matières générales. Elle était douée partout, hormis en mathématiques, alors je n'étais pas inquiet. Ce qui me rendait réellement anxieux, c'était ma résolution de lui parler.

Je dormis très mal encore une fois, et je fis l'impasse sur le rasage le lundi matin. Arrivé au CFA, je fonçai voir Justin, l'informant de l'arrivée de Fatma Ali et du but de sa visite. Surexcité, il vit tout de suite l'opportunité pour l'école et me demanda des précisions sur son heure d'arrivée. Je le renseignai au mieux et il me promit de l'accueillir en personne. S'il ne me demanda pas plus de détails sur le futur patron d'Eva à Paris, je vis tout de même qu'il tiquait sur le fait que cette dernière monte à la capitale pour la suite de ses études, dans une école aussi prestigieuse. Je savais que les questions viendraient, même si, en attendant, c'était autre chose qui le stimulait : un potentiel partenariat des plus intéressants.

Après avoir également expliqué mon planning du soir à Philippe, je réalisai que j'avais oublié le dossier d'Eva sur la table de la cuisine. Je m'insultai mentalement en me notant de repasser chez moi le midi, pour le récupérer. Avec un peu de chance, si je me dépêchais, je pourrais passer au second service du self. Philippe m'assura de me garder un plat au chaud puis, la matinée enchaîna avec mon premier cours.

L'esprit totalement ailleurs, je n'étais pas moi-même, et mes apprentis le remarquèrent très vite. Au moins aussi dissipés que moi, ils ne reprirent leur sérieux que lorsque la sonnerie annonça l'heure du repas. Bondissant aussi de ma chaise, je récupérai mes clés et mon téléphone, laissant ma mallette au pied du bureau. Avais-je fermé la porte de la salle de classe ? Je m'en foutais, ma priorité était ailleurs. Tant que je n'avais pas récupéré le dossier d'Eva, je ne m'autorisais à penser à rien d'autre. Elle comptait sur moi.

Les doigts pianotant sur le volant, je restai tout de même prudent sur les petites routes de montagne. Il avait gelé pendant la nuit et les maigres rayons du soleil n'atteignaient pas la route, sous les sapins. Le sel était généralement suffisant et j'avais confiance en mes pneus hiver, mais je m'interrogeais tout de même sur ce temps bien trop froid pour la saison quand un mouvement sur ma droite me fit tourner la tête.

Je n'eus pas le temps de comprendre ce qu'il se passait, tout s'enchaîna à une vitesse ahurissante. Déboulant d'un croisement, une voiture grise grilla son stop et fonça droit sur ma portière, avant de la percuter dans un choc assourdissant. L'airbag explosa, mon nez s'écrasa sur le sac et je sentis juste mes muscles se crisper et mes mains agripper le volant, tandis que ma voiture était projetée de l'autre côté de la route, ne s'arrêtant qu'en rencontrant violemment un poteau électrique. Le choc me coupa le souffle et ma vitre explosa sous l'impact.

Immobile et désorienté, la respiration rapide, le cœur battant à m'en donner mal aux côtes, je tâchai de prendre mes repères, de comprendre ce qu'il s'était passé. Les doigts rigides, je lâchai le volant et cherchai aussitôt à me détacher. Les membres tremblants, je luttai contre l'airbag, mu par le besoin de quitter la voiture, l'adrénaline parcourant mon corps, me donnant le tournis. Puis alors que mes oreilles cessaient peu à peu de bourdonner, la portière s'ouvrit d'un coup, me faisant sursauter. Je me tournai vers la femme d'une soixantaine d'années, le visage déformé par l'angoisse.

— Vous n'avez rien ? s'écria-t-elle d'une voix forte.

Mon cerveau ne m'envoyait pas les bonnes informations, je ne savais pas si j'avais mal ou peur. Je devais juste sortir. Je repoussai l'airbag qui pendait de mon volant et attrapai maladroitement mon téléphone qui, miraculeusement, n'avait pas volé dans l'habitacle.

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant