Le lendemain, en allant au CFA, je cherchai aussitôt Eva dans la cour et fus soulagé de la voir de nouveau en compagnie de Chloé, qui avait visiblement réussi à arranger les choses. Même si je ne fis que l'apercevoir à travers la vitre de ma voiture, je ne pus m'empêcher de constater qu'elle était plus souriante, moins effacée. Je pinçai les lèvres, réalisant du même coup que la jeune fille ne viendrait plus s'épancher vers moi, mais il fallait que je l'admette, c'était mieux ainsi.
Je ne la cherchais plus trop du regard, tout au long de la journée. J'avais enfin l'assurance qu'elle ne serait plus seule, qu'elle irait manger au self. Bref, que son état s'améliorerait, indubitablement. Y être pour quelque chose amenait un sentiment de satisfaction tel que je n'en avais pas ressenti depuis longtemps. Même si j'avais fait en sorte d'évincer Eva, en lui faisant retrouver ses proches, mon besoin d'être utile n'avait jamais été aussi comblé.
On avait été là pour moi, après mon accident, il était donc normal que quelqu'un soit là pour elle. La boucle était bouclée, mon destin accompli.
Pourquoi, alors, avais-je une étrange impression de vide, en la regardant rire avec son amie ? Qu'il était étrange d'être tout de même amer d'avoir fait mon devoir.
Comme je refusai de me confronter à ces émotions divergentes, je m'appliquai à me jeter dans le boulot et la journée défila à toute allure, jusqu'au lendemain, jour du rendez-vous.
Je passai la matinée dans le brouillard, incapable de me concentrer sur quoi que ce soit, attendant et redoutant le rendez-vous avec le père Vasan. D'après ce que j'en avais compris au gré de mes conversations avec Eva depuis plus d'un an, il était élitiste. Il estimait qu'elle s'était trompée de voie, qu'elle valait mieux que d'être une simple pâtissière.
Elle avait grandi très vite, endossant la responsabilité de sa sœur, qu'elle maternait bien trop, de ce que j'avais deviné. Pour preuve, elle se sacrifiait pour elle. Tout dans son comportement, dans son caractère, démontrait qu'elle avait une vie complexe, à la maison. Trop mature pour son âge, aînée de sa sœur, elle n'avait pas le beau rôle. Alors que penser d'un père qui laissait faire ça ? Son éducation avait eu l'air rude. J'appréhendais la réaction du patriarche.
Combien ne croyaient pas leur proche, leur enfant, dans ce genre de cas ?
Quand la dernière sonnerie de la journée de vendredi retentit dans l'école, mon estomac se contracta. C'était le moment. J'arrangeai mon bureau, tout en saluant mes apprentis qui rentraient chez eux, et je me dépêchai de placer deux chaises face à mon bureau. Je soufflai, vérifiai l'heure sur mon smartphone, et m'installai à nouveau, les jambes en coton. Jamais je n'avais eu autant la pression, pas même lors de mes concours.
Je me concentrai sur mes respirations, retrouvant mon calme, puis des coups retentirent contre la porte. Trois coups secs, mais fermes. Les voilà.
— Entrez, entrez !
Ce fut le père qui pénétra d'abord et je fus saisi en voyant qu'il avait les yeux du même bleu que ceux d'Eva. Un instant stupéfait, je me secouai et me levai maladroitement, accueillant les deux Vasan en serrant la main du père, inclinant la tête en direction d'Eva. Leur différence de taille m'interpela. Il était un peu plus grand que moi, tandis qu'Eva m'arrivait tout juste à l'épaule. Si elle avait hérité de ses yeux, en revanche, ce n'était pas le cas de sa taille.
— Bonjour, M. Vasan, merci d'être venu, fis-je avec gravité. Salut Eva.
Lèvres closes, teint livide, elle semblait au bord de l'apoplexie. Je tentai d'esquisser un sourire rassurant, en vain, et leur désignai les chaises face à moi, où ils s'installèrent d'un même mouvement.
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Evangeline [En cours]
Romance[Ne pleure pas mon ange, version Luc Baillet] L'univers de Luc Baillet s'est effondré. Juste en un instant, sa vie a volé en éclat. Il doit reconsidérer sa situation, ses projets, son avenir. Il tente de tout reconstruire, sans conviction, incertain...