Lorsque j'entendis la porte de ma chambre claquer doucement, je quittai la salle de bain, un maigre espoir de la voir se tenir au pied du lit, figée par la colère, encore logé dans mon cœur. Mais j'étais bien seul. Je m'affalai sur un des fauteuils luxueux, en proie aux doutes. Et si j'avais fait en sorte de l'éloigner définitivement, cette fois ? Peut-être était-ce une bonne chose, en fin de compte. La faire travailler avec moi chez Pierrick pendant deux ans, c'était tellement présomptueux de ma part ! Comme si notre relation aurait duré aussi longtemps. Alors, cette nouvelle dispute, c'était pour le mieux, non ? Cela évitait de compliquer les choses plus tard, si elle me quittait alors que nous étions tous les deux les employés de Pierrick.
Nous nous disputions souvent, ces derniers temps, qu'est-ce qui nous arrivait ? Devais-je y voir un signe qu'il était temps de tout arrêter ?
J'allumai la télévision pour me distraire de mes pensées sinistres. J'avais conscience que j'aurais dû mettre plus de formes dans ma proposition. Avec le recul, je reconnaissais que ça ressemblait plus à une suggestion non négociable. Je poussai un soupir las. J'avais projeté trop d'espoirs, j'avais été trop loin dans mes aspirations avec elle. Je m'en voulais tant, à présent. En entendant des coups contre la porte, je baissai le son du reportage sur les carpes de la Dombes avant d'aller ouvrir, intrigué.
Je me figeai de surprise en découvrant Eva, les yeux rivés ses pieds. Battant ouvert, elle se faufila sous mon bras sans un mot, et se précipita sur son chargeur, resté branché près du lit. Alors qu'elle faisait demi-tour pour s'esquiver à nouveau, mon cerveau réagit et je l'interceptai, la bloquant dans une étreinte ferme.
— Eh, excuse-moi, soufflai-je doucement.
Le regard au sol, je ne tentai pas de lui faire lever la tête pour trouver ses prunelles. Je n'avais pas envie de lire la déception, la colère qu'elle ressentait à cause de moi. Enfermée dans mes bras, elle ne répondit pas, mais ne tâchait pas de se défaire de mon étreinte, alors je continuai, espérant trouver les mots :
— J'ai mal présenté les choses. J'aurais dû mettre les formes.
Je la sentis se débattre, essayant de quitter mes bras, mais je la maintins plus fermement, me mordant la lèvre par mon manque de pédagogie. Je détestai perdre mes mots, encore plus avec elle !
— Laisse-moi au moins t'expliquer ! pestai-je.
Elle cessa de lutter, laissa pendre à nouveau ses bras et je retins un soupir las. Je savais ce qu'elle avait envie d'entendre, ce qu'elle avait besoin que je dise, mais j'étais encore trop hésitant, trop effrayé à l'idée de me dévoiler autant. Je déglutis difficilement et tentai de me lancer péniblement :
— Depuis que... depuis que je sais que je ne peux plus faire machine arrière avec toi, je sais qu'il faut que je fasse quelque chose, professionnellement. Rester au CFA éternellement n'est pas envisageable, pour toi, comme pour moi, fis-je, comme une évidence. J'aurai toujours ce statut de prof, et ce n'est pas acceptable. J'avais déjà réfléchi à quitter mon poste, pour reprendre le chemin des labos, mais j'étais un peu angoissé.
Je retins un ricanement nerveux. Se rendait-elle seulement compte de l'effort que je faisais en lui parlant aussi ouvertement, en lui avouant à quel point je m'étais projeté avec elle ? Je déposai un baiser dans ses cheveux, respirant son odeur, qui m'apaisa légèrement.
— Je ne t'en ai pas parlé parce que j'attendais de connaitre tes projets. Je ne voulais pas te guider, inconsciemment, à suivre une voie qui te pousserait à rester près de moi, si ce n'était pas ce que tu souhaitais. Quand Pierrick m'a fait sa proposition, à Noël, j'ai cru que c'était la solution ultime. Quoi de mieux pour toi que de faire ton apprentissage près de lui ? Quoi de mieux pour moi, de te garder encore un peu à portée ? J'ai fait ce choix, égoïstement, en pensant que...
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Evangeline [En cours]
Romance[Ne pleure pas mon ange, version Luc Baillet] L'univers de Luc Baillet s'est effondré. Juste en un instant, sa vie a volé en éclat. Il doit reconsidérer sa situation, ses projets, son avenir. Il tente de tout reconstruire, sans conviction, incertain...