Chapitre 24

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Je n'eus pas beaucoup de nouvelles d'Eva, pendant le week-end. Je lui envoyais quelques messages, dès que je pensais à elle – ce qui était souvent –, mais je restais au stade des textos, pour ne pas la déranger. Je savais que la période était dure, pour les pâtissiers en boutique, et j'avais conscience qu'elle devait être submergée de travail. La laisser se reposer était une priorité. Elle me parla vaguement de Masson, qui lui avait imposé un covoiturage avec la mère d'un autre employé, et j'en étais soulagé. La savoir à vélo en hiver sur les routes, de nuit, ne m'avait pas particulièrement plu.

De retour au CFA, le lundi matin, j'allai directement toquer au bureau de Justin, une demi-heure avant le début des cours, pour lui présenter le projet de masterclass. J'étais nerveux. Je savais que c'était quelque chose qu'il souhaitait faire, mais la distance et le budget risquait d'être un gros frein. J'avais un excellent argument pour le financement, que je gardais en joker, si jamais il refusait pour cette raison.

Je saluai Élisabeth, sa secrétaire, coincée dans son petit bureau derrière une fenêtre, et elle me fit signe de la main, me laissant toquer à la porte du directeur.

— Entrez ! annonça Justin.

J'ouvris la porte, vissant un sourire aimable sur mes lèvres, documents à la main. J'avais préparé tout un dossier, pré-sélectionné les dix élèves pouvant partir, fait une estimation des prix du train, de l'hôtel, des repas. J'avais envisagé tous les contre-arguments, anticipé quelques réponses à ceux-ci. Bref, j'étais au point. Ça devait bien se passer.

— Salut, Luc, que me vaut le plaisir, de si bon matin ?

Il avait tout juste levé les yeux vers moi, avant de replonger ceux-ci sur le journal du matin. C'était une habitude qui me faisait sourire, lui qui était très connecté, vraiment passionné par les nouvelles technologies, alors le voir avec un vieux journal papier était plutôt distrayant. Je m'approchai du bureau, nonchalant.

— Je voulais te demander quelque chose, dis-je en m'installant sur une chaise, face à lui. T'as l'air d'être intéressé par la pâtisserie, non ?

Il leva ses yeux vers moi, haussant un sourcil.

— Tu le sais déjà, mais oui. Pourquoi ?

— Tu suis des pâtissiers, sur Instabook ? demandai-je innocemment.

— Oui, je suis d'ailleurs étonné de ne pas t'y voir, monsieur le candidat au championnat Européen du sucre.

— Je suis pas aussi féru des réseaux sociaux que toi, grommelai-je. Ou que Pierrick Morvan.

— Ah ça ! C'est qu'il est actif, et ses réalisations sont incroyables, s'émerveilla-t-il. Il mérite son titre de meilleur pâtissier du monde.

J'esquissai un sourire, il allait exactement là où je voulais l'emmener. Mes doigts se crispèrent sur le dossier que j'avais à la main et je continuai, toujours le plus neutre possible.

— C'est vrai qu'il est doué, accordai-je. Ça doit être sympa de faire une masterclass avec lui.

— Tu sais que j'y avais pensé ? lança soudain Justin avec animation. Ça serait une super opportunité pour les jeunes et l'image de l'école.

— Tu ne penses qu'à l'image ? me moquai-je alors, un peu agacé.

— Être une structure privée demande des fonds, soupira-t-il, las. Nos apprentis ne peuvent pas tout couvrir, et si on veut rénover l'internat des garçons, comme on y pense depuis plusieurs années, gagner en prestige est la meilleure solution. Les retombées sur notre popularité seraient une bénédiction.

Je n'ignorai pas que la région apportait son soutien financier à l'école, mais les frais engendrés par celle-ci étaient forcément de plus en plus importants au fur et à mesure des années. Nous accueillions de plus en plus d'apprentis, et bientôt, les bâtiments seraient trop étroits pour tout le monde. De nouveaux aménagements avaient déjà vu le jour, avant mon arrivée, mais c'était encore insuffisant, si Justin voulait que l'établissement soit pérenne.

Evangeline [En cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant