Après les questions sur nos activités, nous parlâmes de nos métiers respectifs et on commença par Prudence. Commerciale pour une marque de fromage dans les grandes surfaces, elle nous expliquait être ravie de pouvoir se reposer après une période difficile. Visiblement, le métier avait changé depuis quelque temps et elle mettait plus la main dans les rayons qu'avant, se substituant même parfois aux employés du magasin, mettant en place les produits saisonniers, comme la raclette en ce moment, ainsi que la fondue et les fromages à tartiflette. Ces derniers étaient une hérésie, pour le savoyard que j'étais. Une tartiflette, c'était avec du reblochon, point final.
— Mais quel intérêt, pour toi ? demanda Eva en piquant dans sa viande. Te donner autant de mal pour les magasins te rapporte quoi ?
— Pour la majorité du temps, ce sont surtout des positions, répondit-elle.
— Des positions ?
Ma jolie brune se tourna vers moi, m'interrogeant du regard, mais je haussai les épaules, ne comprenant pas ce que Prudence entendait par là. Chloé pouffa.
— Eh oui, ma belle ! Ton jargon ne parle pas aux gens normaux.
Prudence soupira et reprit pour nous expliquer.
— Les positions de mes produits. Un produit bien placé dans un linéaire, commença-t-elle avant de se reprendre. Un rayon, si vous préférez, sera mieux vendu qu'un autre qui sera un peu trop caché, trop haut, bref trop peu exposé.
Logique. Un fromage placé sur l'étagère la plus haute aura du mal à être vu et donc, ne pourra être attrapé par un client potentiel. Enfin, notamment quand on avait la taille d'Eva. J'eus un regard amusé vers elle avant de résumer, reportant mon attention sur notre hôtesse :
— Et ton job est de faire en sorte qu'il soit bien exposé.
— Exact. Même si, la plupart du temps, les clients... les chefs de rayons, rectifia-t-elle. Ils le font d'eux-mêmes. Des fois, j'y vais juste pour faire acte de présence et augmenter mon capital sympathie.
— Et ça fonctionne, intervint alors Chloé avec une certaine fierté. Tu disais que tout le monde t'appelait pour faire les recadrages des rayons !
— Je bosse bien, ça joue aussi, répliqua-t-elle avec une pointe d'humour, mais également de fierté.
— Et c'est épuisant moralement parce que tu dois te battre pour tes places ? enchaînai-je, très intéressé de comprendre le fonctionnement.
— Oui, surtout quand les concurrents sont conviés. Il y en a avec qui je m'entends bien et on arrive à travailler sans se marcher dessus, s'accordant des expositions mutuellement. Tandis qu'avec d'autres, ce sont des guerres d'arguments, des guerres de nerfs. Nos références ne sont pas les mieux vendues de la période et les concurrents peu scrupuleux n'hésitent pas à faire du mal à ces produits, les mettant délibérément dans des zones non vendeuses.
— Oui, mais si elles prennent la place de choses qui, elles, se vendent..., fit Eva, songeuse.
— Ça ne leur laissera jamais la chance de mieux se vendre, réagit-elle avec véhémence.
Un ange passa, puis nous éclatâmes de rire.
— Désolée, je suis un peu conditionnée, fit Prudence avec un sourire embarrassé.
Sa peau sombre empêchait de savoir si elle avait rougi, mais j'étais persuadé que c'était le cas. Chloé se leva soudain, commençant à débarrasser la table et Eva fit un mouvement pour l'aider, mais elle l'interrompit d'un geste.
— Au fait, vous avez des projets pour la Saint-Sylvestre ? demanda-t-elle avec curiosité.
— Oh ! On est invitées au concert d'Antoine et des garçons !
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Evangeline [En cours]
Romance[Ne pleure pas mon ange, version Luc Baillet] L'univers de Luc Baillet s'est effondré. Juste en un instant, sa vie a volé en éclat. Il doit reconsidérer sa situation, ses projets, son avenir. Il tente de tout reconstruire, sans conviction, incertain...