— Je n'ai pas l'intention de te faire souffrir ce soir.
Même si je devais admettre qu'il était déjà trop tard pour ça. Que devait-elle penser de mon attitude ? Elle devait tant me détester. Comme je me détestais. Pourtant, elle se laissa faire quand je posai la main dans son dos, l'emmenant à travers l'allée. La notion de consentement me revint en plein visage et je ne sus quoi penser de mon geste. À aucun moment , elle n'avait montré qu'elle était d'accord pour venir chez moi.
Je frémis en imaginant ce qu'il pourrait se passer, dans l'enceinte de ma maison. Elle était fatiguée, dans un état moral déplorable. Sans défense. Pouvais-je réellement lui faire ça ? Pouvais-je me convaincre que c'était ce qu'elle désirait aussi ? Je baissai le regard vers elle et la douceur de sa peau me revint en mémoire, animant une partie sensible de mon anatomie.
Arrivés près de la porte, elle leva ses yeux vers les miens et ses pommettes rouges m'informèrent qu'elle était tout aussi mal à l'aise que moi. J'eus envie de lui assurer qu'elle pouvait dire non, qu'elle pouvait à tout moment me demander de la ramener au CFA, mais je ne le fis pas. Ma partie raisonnable me poussait à le faire, mais la partie la plus égoïste, la plus abîmée, me hurlait de me taire. Comment concilier les deux ?
J'ouvris la porte et l'invitai à entrer. En fermant derrière moi, je n'étais toujours pas en phase avec mes désirs et je branchai mon cerveau en automatique. C'était plus facile que de se poser des questions. J'aidai Eva à ôter sa veste, la suspendit à la patère et une fois qu'elle se fut déchaussée, je la poussai gentiment jusqu'au salon avant d'allumer le lampadaire qui brilla d'une lumière douce, tamisée. Intimiste.
Je frémis et me détournai.
— Installe-toi, lui ordonnai-je doucement.
Je tâchai de ne pas penser à elle, ma petite apprentie dans mon salon, tandis que j'ouvris le frigo et récupérai le risotto préparé deux jours avant. Je le reniflai, satisfait, et le mis à chauffer lentement sur le gaz. En préparant un plateau avec deux assiettes, je réfléchis à ce que je pouvais faire, là, tout de suite. La faire parler semblait être un bon début. L'assurer que je n'étais pas insensible à son charme pouvait attendre. Je devais juste faire en sorte qu'elle ne se sente plus si mal.
« Qui voudrait de moi à présent ? »
Comme si elle était impure, indigne d'être aimée, désirée. Quelle idée stupide ! Ne se voyait-elle donc pas ? Je crispai la mâchoire, repensant à ce qui lui était arrivé. Laurent méritait tellement d'être puni pour ce qu'il lui avait fait. Elle en souffrirait toute sa vie, alors que lui...
Je terminai de remplir le plateau quand j'entendis un faible bruit dans le hall d'entrée. Je m'y dirigeai, sourcils froncés, avant de trouver Eva, face à la porte. Elle s'était rhabillée en silence, bottes aux pieds et mon estomac se noua en réalisant qu'elle avait, encore une fois, essayé de me fuir. Je lui attrapai le bras avant qu'elle n'actionne la poignée et elle fondit en larmes.
Sans un mot, je la débarrassai de son sac à dos, puis de sa veste, que je laissai tomber au sol, avant de l'enlacer fermement, le cœur lourd. Je la serrai fort, désirant plus que tout la débarrasser de son fardeau, de sa douleur. Ses sanglots me perforaient, me blessaient et j'embrassai ses cheveux, avant de poser ma joue sur sa tête, impuissant. À nouveau, l'odeur de son shampooing m'atteignit et mon ventre se tordit. Le souffle d'Eva devint heurté et j'eus peur qu'elle vacille.
— Respire, Eva, soufflai-je.
Elle obéit et prit une lente inspiration. Au bout de longues secondes, je la sentis se détendre, ses pleurs se calmèrent et je relâchai doucement mon étreinte, la libérant de mes bras. Aussitôt, je glissai ma main sous son menton, lui faisant lever les yeux vers les miens. Ses prunelles embuées exprimaient mille maux et mon cœur se serra. Je passai mes pouces sur ses joues, essuyant ses larmes, caressant sa peau si douce. Je refusai de regarder ses lèvres, je me savais sur la sellette.
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Evangeline [En cours]
Romance[Ne pleure pas mon ange, version Luc Baillet] L'univers de Luc Baillet s'est effondré. Juste en un instant, sa vie a volé en éclat. Il doit reconsidérer sa situation, ses projets, son avenir. Il tente de tout reconstruire, sans conviction, incertain...