Je ne m'attardai pas dans la salle des profs, attrapant seulement un café et retournant dans mon labo, au calme. J'étais si fatigué, j'avais hâte de rentrer. Peut-être m'accorderai-je de rentrer chez moi pour me reposer, à midi ? Ma pause fut de courte durée, le cours reprit quand j'entendis les premiers bruits de pas dans le couloir. Par la rapidité de ceux-ci, et le fait que la personne soit seule, je m'attendais à voir Eva débarquer quelques secondes plus tard. J'esquissai un sourire en constatant que j'avais vu juste et fronçai soudain les sourcils. Quelque chose avait changé, dans son regard. Était-ce de la colère ? Elle arborait un air décidé, très étrange.
— Tout va bien ? lui demandai-je, intrigué.
Elle s'approcha d'un pas précipité et, les joues écarlates, leva ses prunelles à la lueur folle vers les miennes.
— Évasion ce soir ? murmura-t-elle.
J'avais du sommeil en retard, des copies à corriger, mais je m'en foutais. Quand je la voyais ainsi, toute impatiente d'être avec moi, je ne pouvais pas le lui refuser. Je hochai la tête et elle poussa un soupir soulagé qui me fit glousser. Les garçons entrèrent à leur tour et elle retourna près de son marbre, tandis que je récupérai ma toque, dans mon tiroir.
— Toujours fiévreuse ? demanda soudain Antoine. Tu es un peu rouge.
Incapable de me retenir, j'eus un petit rire moqueur que je dissimulai sous une toux. Je vis qu'elle se tournait vers moi, mais je l'ignorai du mieux que je pus, mourant de rire intérieurement.
— Non, je suis juste contrariée. Ça arrive quand on rit de moi à mes dépens.
Elle s'en sortait bien, je devais l'admettre. Hugo me réclama et je me déplaçai près le lui, passant non loin d'Eva et d'Antoine, lequel ajouta :
— Tu sais ce qu'on dit, qui aime bien châtie bien.
— Hm, cette personne m'aime beaucoup en ce cas.
Possible, Eva.
Concentré sur Hugo et son problème de crème anglaise trop cuite, je ne me permis pas de jeter un œil dans la direction de la petite brune, mais ne pus retenir un léger sourire. Le reste de la pratique se déroula plus facilement que la veille. La bûche que je leur avais prévue ne comportait pas de difficulté majeure, hormis la crème anglaise. Ils évoluèrent en s'échangeant quelques blagues, l'ambiance bien plus décontractée que la veille et j'entendis même Eva rire avec Antoine. Je me tournai parfois vers eux, surpris et aussi un peu envieux.
C'était pour le mieux. Elle se faisait de nouveaux amis, dans sa classe. Elle pourrait intégrer le clan d'Andy l'imbuvable et ainsi, elle serait en sécurité. Si William venait à l'approcher de nouveau... Je crispai les poings à cette perspective. Je la poussai avec Antoine par intérêt, pour son propre bien, mais j'avais du mal à la voir s'amuser sans moi. J'aurais aimé avoir son âge, rire et flirter avec elle, sans me cacher. Il me fallait être patient, je l'avais au moins pour moi le soir venu. Cette idylle secrète impliquait des sacrifices, je le savais avant de me lancer. Ça ne m'empêchait pas d'avoir un peu mal.
Voir Eva aussi naturelle avec Antoine encouragea les garçons à être plus enclin à lui adresser la parole. Ils se chambrèrent mutuellement et malgré ma rancœur, j'étais soulagé de voir que ça se passait bien, pour elle, désormais. Je les informai tout de même que l'heure avançait et ils se mirent à nettoyer le labo avant la sonnerie, se mettant en avance pour la fin du cours. À la sonnerie, je déposai ma toque en souhaitant à tout le monde un bon appétit et ils sortirent dans un joyeux brouhaha. J'entendis alors la fin de la conversation entre Antoine et Eva, tandis qu'ils s'attardaient à leur plan de travail.
— Je marche, fit-elle avec un sourire.
— Super ! On s'attend en bas ?
Les joues roses d'Eva me blessèrent, sans que j'en comprenne les raisons, et mon moral chuta brutalement quand je compris qu'ils allaient manger tous ensemble. J'attendis qu'Antoine fut sorti avant de prendre la parole, du ton le plus neutre possible :
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Evangeline [En cours]
Romance[Ne pleure pas mon ange, version Luc Baillet] L'univers de Luc Baillet s'est effondré. Juste en un instant, sa vie a volé en éclat. Il doit reconsidérer sa situation, ses projets, son avenir. Il tente de tout reconstruire, sans conviction, incertain...